Rapport de recherches sur les traités - Traité no. 9 ou traité de la Baie James (1905-1906)
par James Morrison, Centre de la recherche historique et de l'étude des traités, Affaires indiennes et du Nord Canada, 1986
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Table des matières
"Nous vous prions de nous aider"
Le chef Louis Espagnol était inquiet : "Toutes mes vieux Indiens qui était dans l'habitude de chasser ici près sont dans un grand besoins", écrivit-il en décembre 1884, au lac Pogamasing. "Les trappeurs, ajouta-t-il, nous ont tous voler nos castors, il chassent et ne prennent rien et sont trop vieux pour allez au loin... il y a aussi plusieurs vieille femme malades, informes et plusieurs orphelins en toute une vingtaine qui sont en grand besoin, ils se joignent tous à moi pour vous prier de nous assister." Note de bas de page 1 Cet appel était adressé à James Phipps, surintendant itinérant des Affaires indiennes pour l'Île Manitoulin et le lac Huron. Quand Phipps transmit la demande du chef indien à ses supérieurs, il mentionna que seule un minorité des Indiens dont parlait Espagnol était placée sous sa juridiction et que : "aucun accord de création de réserve, aucun traité, ne régit les relations d'environ la moitié des membres de la bande de Louis Espagnol avec l'État". Note de bas de page 2
Louis Espagnol, connu aussi sous le nom de Sahquakegick, était le chef de l'une des divisions de la bande Eshkemanetigon ou bande de la rivière Espagnole établie dans la région du lac Huron. En septembre 1850, ses frères aînés avaient signé, au nom de leur bande, l'un des deux accords négociés par l'honorable W. B. Robinson et les Indiens vivant au nord des lacs Huron et Supérieur. Note de bas de page 3 En vertu de ces accords, connus maintenant sous les noms de Traité Robinson-Huron et Traité Robinson-Supérieur, plusieurs bandes d'Indiens Ojibways cédèrent à l'État un territoire immense s'étendant entre les lacs et la hauteur des terres séparant les Grands Lacs et le bassin hydrographique de la baie d'Hudson en retour d'une rente annuelle, de la création d'une réserve pour chaque bande et de la promesse que les Indiens conserverait le droit de chasser et de pêcher sur les terres inoccupées de l'État. Note de bas de page 4 En 1850, les terres cédées appartenaient à la province du Canada Ouest, laquelle devint, par l'effet de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (1867), la province de l'Ontario. Au-delà de la hauteur des terres vivaient plusieurs autres milliers d'Indiens Ojibways et Cris, sur des territoires où s'appliquera, jusqu'en 1870, la charte royale (1670) incorporant la Compagnie de la baie d'Hudson (CHD). Note de bas de page 5 La situation vécue par la bande de Louis Espagnol ne fut pas unique : une partie seulement des Indiens qui vivaient près de la ligne septentrionale de partage des eaux appartenaient aux groupes qui négocièrent l'un ou l'autre des traités Robinson. À ce sujet, W. B. Robinson a signalé, pendant la négociation des traités, que le lac Long, qui se troube à environ 150 kilomètres de lac Supérieur à l'intérieur des terres, était le quartier général de 216 Indiens, que seulement 80 d'entre eux habitaient l'étendue de terre cédée et que le reste des Indiens vivaient "au-delà de la hauteur des terres, sur le territoire de la baie d'Hudson." Note de bas de page 6 Ces derniers ne comprenaient pas qu'une frontière artificielle empêche les membres de la bande de retirer également des avantages des traités. "À Missaisagua et à la rivière Serpent, disait le surintendant Phipps au début de 1880, je rencontre fréquemment des Indiens vivant au-delà de la hauteur des terres; ils me demandent souvent d'ajouter leurs noms à la liste de distribution des rentes, ce qui, bien sûr, ne peut se faire." Note de bas de page 7
La demande urgente présentée en décembre 1884 par Louis Espagnol était qualitativement différente des autres, et Phipps savait pourquoi, lui qui écrivait ce qui suit au surintendant général des Affaires indiennes le 5 février 1885 : "La construction de la ligne de chemin de fer du Canadien Pacifique a ouvert la région du lac Pogamasing aux trappeurs blancs dont l'activité prive la région d'une ressource : les castors, qui étaient très importants pour les Indiens; ceux-ci veillaient soigneusement à assurer le renouvellement de cette espèce, ils ne capturaient jamais tous les castors qu'ils auraient pu capturer; les Blancs, eux, tuent tous les castors qu'ils peuvent et l'espèce est condamnée à s'éteindre dans cette partie du pays." Note de bas de page 8 Au début, les Indiens Cris et Ojibways s'étaient réjouis de l'arrivée du chemin de fer; les Indiens, d'ailleurs, n'ont jamais hésité à adopter les technologies des Blancs dont ils peuvent tires des avantages. Ce fut le cas avec les moyens de transport aussi bien qu'avec d'autres biens dont l'utilité était plus certaine (fusils, pots de terre, tentes en toile, etc.). Moins d'un an après l'arrivée des bateaux à vapeur sur le lac Huron, dans les années 1840, les Ojibways qui pouvaient se le permettre utilisaient ce moyen de transport pour se rendre à Sault-Sainte-Marie, à l'île Manitoulin, à Penetanguishene ou à Owen Sound, où ils commerçaient, visitaient des parents ou recevaient les présents que leur destinait annuellement le gouvernement britannique. Note de bas de page 9 Quand arriva la tête de ligne an nord des lacs Huron et Supérieur, de nombreux Indiens utilisèrent leurs talents ancestraux et servirent de guides à des équipes d'exploration, aidèrent à ouvrir le chemin pour le train et fournirent des produits alimentaires de la région aux camps de travailleurs du chemin de fer. Note de bas de page 10 Pour les Indiens établis près de la voie ferrée, le train a grandement simplifié le transport de leur approvisionnement vers leurs terrains de chasse hivernaux. Pour tous les Indiens qui dans le nord vivaient à l'intérieur des terres, l'utilisation du chemin de fer a entraîné une baisse du prix des biens qu'ils achetaient et une augmentation du prix des fourrures qu'ils vendaient, et ce, grâce à la venue de marchands itinérants, qui suivirent la tête de ligne et gagnèrent l'ouest, tout comme les marchands de fourrure avaient sillonné la route des vapeurs, le long des rives nord et est du lac Huron, une génération plus tôt. Note de bas de page 11
"Jusqu'à il y a deux ans, nous exercions un quasi monopole sur le commerce des fourrures et peu de peaux se retrouvaient entre les mains de nos faibles concurrents", écrivit le négociant en chef T.C. Rae de la Compagnie de la baie d'Hudson, dont le district, en 1885, comprenait la majeure partie du nord-est de l'Ontario. L'analyse de Rae reflète fidèlement la pensée des employés de la CBH :
Aujourd'hui, le Canadien Pacifique traverse la partie la plus intéressante du district et la région peut être envahie, en tout temps, par des négociants indépendants qui peuvent sans trop de difficulté transporter leurs marchandises vers tout endroit situé à une distance facile à parcourir de Flying Post et de Matawagamingue, d'où le train n'est éloigné que de 50 ou 60 milles (en lignedroite). Note de bas de page 12
C'était la première fois, depuis la fusion en 1821 avec la Compagnie du Nord-Ouest, que la CBH devait affronter des concurrents importants dans cette région. Ses représentants étaient furieux contre "les requins qui commercent le long du chemin de fer" (c'est ainsi que le négociant en chef Alex Matheson, de Red Rock, appelait les concurrents), surtout depuis qu'on comptait parmi eux des chefs de gare et d'autres employés du Canadien Pacifique, lesquels "faisaient du commerce avec tous les Indiens qu'ils rencontraient." Note de bas de page 13 Au début des années 1890, la CBH a dû réduire l'importance de certains de ses postes situés à l'intérieur des terres (Mattawagamingue, Brunswick House, etc.) et commencer à exercer une grande partie de ses activités commerciales dans des petites agglomérations desservies par le train (Biscoasting, Chapleau, Missanabie Dinorwic, etc.). Note de bas de page 14
La CBH ordonna à ses employés de surveiller les concurrents de près, partout dans le nord, et d'éviter que les habitants de l'intérieur commercent le long du chemin de fer. Note de bas de page 15 "Plusieurs Indiens du district d'Albany allaient offrir leurs fourrures à des concurrents", écrivit en 1892 l'employé de la CBH responsable du poste du lac Nipigon : "l'un de nos hommes, ajouta-t-il, les intercepta; on obtint d'eux toutes leurs fourrures et, comme il leur manquait des biens nécessaires, on leur consentit un prêt à la condition qu'ils retournent immédiatement à leurs postes du district d'Albany (ce qu'ils firent)." Note de bas de page 16 La CBH n'eut pas toujours autant de succès. En 1891, l'agent en chef de Moose Factory signala que des Cris entreprenants étaient déjà allés offrir leurs fourrures à des négociants près du chemin de fer et qu'"ils avaient découvert que le long du chemin de fer on leur donnerait davantage pour leurs fourrures qu'à Moose Factory." Note de bas de page 17 C'était toujours le même refrain. Il devenait "beaucoup plus difficile de commercer"avec les Indiens, à qui il arrivait même de refuser de rembourser des marchandises qui leur avaient été avancées à l'automne. Note de bas de page 18 Bien sûr, il s'agissait là d'un argument plus que spécieux. En 1892, le négociant en chef Matheson fit connaître la vérité quand il expliqua au commissaire de la CBH que "les pertes résultant de la vente de marchandises à crédit aux Indiens sont inévitables, mais que ces pertes sont plus apparentes que réelles étant donné que le prix des marchandises vendues à crédit aux Indiens est toujours plus élevé que le prix demandé généralement. Note de bas de page 19 À Chapleau, par exemple, on gonflait de 35% le prix des marchandises vendues à crédit aux Indiens. Note de bas de page 20
Colère et regret sincère se mêlant en eux, les négociants de la Compagnie de la baie d'Hudson pleurèrent la fin du pouvoir paternaliste qu'ils exerçaient sur les Indiens Ojibways et les Cris du nord. "Les Indiens sont de plus en plus corrompus à cause de leurs relations avec les Blancs et les missionnaires itinérants", écrivit Peter Warren Bell, de Michipicoten. "L'Indien authentique, pur, c'est... l'infidèle de la baie d'Hudson qui a des relations seulement avec la CBH et seulement à des périodes déterminées." Note de bas de page 21 Comme toutes les généralisations semblables, celles de Bell contenaient une part de vérité : les Indiens n'ont pas tiré que des bienfaits du chemin de fer. Mais Bell et d'autres ne firent que répéter une litanie entendue fréquemment au cours de l'histoire des relations des Indiens et des Blancs dans les Amériques. Note de bas de page 22 En décembre 1885, un négociant de Chapleau, John Black, écrivit : "J'ai chargé James Saunders d'aller conduite Ashanoquet plus profondément à l'intérieur des terres. On m'a dit qu'Ashanoquet écornifle le long du chemin de fer, à la recherche de boissons alcooliques." La vie à Chapleau, comme dans toute autre agglomération frontalière, était mouvementée. "Les agents supérieurs du Canarien Pacifique sont résolus à éliminer les causes de division", ajoutait Black; "mais je crains qu'on ne continue de vendre du whisky en quantité nuisible malgré leurs efforts. Les employés refusent d'aider à abattre les cabanes où on vend des boissons alcooliques parce qu'ils n'ont pas été engagés, disent-ils (et leur raison est assez valable), pour mettre leur vie en danger en jouant aux policiers." Note de bas de page 23 En fait, peu de tâches policières étaient accomplies le long du chemin de fer. Les négociants indépendants trouvaient leur compte à troquer des boissons alcooliques contre des fourrures. La CBH avait pratiquement mis fin à la vente d'eau-de-vie à l'intérieur de la terre de Rupert, après 1821 (après en avoir distribué gratuitement pendant un siècle et demi); cela n'empêchera pas ses employés de commencer à offrir secrètement des boissons alcooliques à leurs clients indiens, dans les agglomérations desservies par le train. Il fallut que l'agent aux affaires indiennes de Sault-Sainte-Marie menace les contrevenants de sanctions légales pour que la CBH et ses concurrents cessent de fournir des boissons alcooliques aux Indiens de Chapleau et de Missanabie visés par l'un ou l'autre des traités Robinson. Note de bas de page 24 Aux yeux de missionnaires comme lejésuite Joseph Specht, qui était basé à Thunder Bay et qui voyageait énormément dans l'arrière-pays, les relations avec les Blancs avaient des conséquences véritablement catastrophiques pour les Indiens. Specht se plaignait amèrement de l' "intempérance" des hommes et de la violence dans les familles; il déplorait en particulier qu'il y ait un aussi grand nombre de célibataires isolés (membres des équipes de construction ou employés du train) parmi les Indiennes." Note de bas de page 25
L'intensification des relations fut encore une fois suivie de son cortège de maladies nouvelles. Quant à ce phénomène s'ajoute la baisse cyclique des populations animales (laquelle se produit régulièrement à des intervalles de 7, 8, 9 ou 10 ans), les conséquences peuvent être dévastatrices. En 1889, une épidémie de rougeole causa plusieurs décès chez les Indiens visés par un traité de Chapleau et de Missanabie; cette épidémie grappa ensuite la population non assujettie à un traité qui vivait à l'intérieur des terres, plus loin que le chemin de fer, près des lacs Micabanish (Brunswick) et Missinaibi. Ces Indiens, à peine remis de l'épidémie, virent s'effondrer la population des lièvres, dont ils se nourrissaient l'hiver à l'instar de leurs ancêtres, ce qui augmenta leurs souffrances. Note de bas de page 26 Dix ans plus tard, la nourriture, dans la région, redevint rare quand une épidémie de grippe frappa les mêmes populations et les décima. Note de bas de page 27 Selon le négociantde la CBH affecté à la région du lac Missinaibi, de nombreuses personnes moururent de faim au cours du seul hiver 1898-1899. Note de bas de page 28 Les maladies ne frappaient pas qu'à proximité de la ligne de chemin de fer. Plus loin, à des centaines de kilomètres, à Moose Factory, sur la côte de la baie James, la rougeole et les pneumonies emportèrent, pendant l'hiver 1900-1901 et le printemps 1901, plus de 60 des quelque 600 personnes qui commerçaient à cet endroit. Note de bas de page 29
Les guérisseurs indiens n'étaient pas de taille à lutter contre les maladies apportées par les Blancs; d'autre part, il était très rare de pouvoir consulter un guérisseur blanc (les guérisseurs blancs parvenaient rarement à traiter plus efficacement les malades que les Indiens mais ils réussissaient mieux que ces derniers à empêcher la maladie de se propager). Dans les grands établissements (Moose Factory, par exemple) de la CBH, il y avait généralement un médecin en permanence, de même qu'un hôpital anglican tenu par une infirmière. À Fort Albany, agglomération située plus loin sur la côte de la baie James, les Pères Oblats avaient ouvert un petit hôpital tenu par des Soeurs Grises d'Ottawa. Note de bas de page 30 Mais la majorité des Indiens cris et ojibways qui vivaient à l'intérieur des terres ne pouvaient utiliser de tels services médicaux que s'ils étaient régis par un traité. À partir des années 1850, des médecins tels David Layton et Thomas Simpson commencèrent à sillonner la région supérieure des Grands Lacs à titre d'employés des Services de surintendance du nord (ministère des Indiens) sur l'île Manitoulin; ils donnaient des vaccins, faisaient des interventions chirurgicales mineures et fournissaient des médicaments, "les Indiens semblaient apprécier vivement leurs services." Note de bas de page 31 Au nord et à l'ouest du lac Supérieur, il arrivait fréquemment que des médecins participent à la visite annuelle que l'agent affecté auprès des Indiens basé à Port Arthur faisait, dans les années 1880 et 1890, aux Indiens visés par le traité Robinson-Supérieur (1850) ou par le Traité no. 3 (1873). Note de bas de page 32 Bien sûr, le personnel du gouvernement ne refusait pas de traiter les malades qui n'avaient pas droit aux services médicaux. En août 1903, Jabez Williams, employé travaillant à Osnaburgh House (à la tête de la rivière Albany) envoya à Dinorwic, par train, des Indiens non visés par un traité consulter un médecin itinérant. Note de bas de page 33 Le problème qu'il fallait surmonter était, encore une fois, celui du coût des services. Pendant l'épidémie de rougeole de 1889-1892, les Indiens de Chapleau et de Missanabie visés par un traité reçurent des services médicaux dont le prix pu être payé grâce aux intérêts du capital acquis par la vente de terres et de bois de la réserve de Michipicoten; les parents de ces Indiens qui n'étaient pas assujettis à un traité et qui vivaient au-delà de la voie de chemin de fer ne bénéficièrent pas de tels services. Note de bas de page 34
Pendant la première décennie du vingtième siècle, le taux de mortalité chez les Indiens vivant au nord et à l'ouest du lac Supérieur se situait entre 42 et 53 pour mille habitants. Il était de 18,2 par mille habitants chez les Iroquois des Six Nations du sud de l'Ontario, et de 13 à 16 par mille habitants chez les Canadiens en général. Note de bas de page 35 Les Ojibways et les Cris du nord étaient donc beaucoup moins en santé qu'un siècle plus tôt; le stress social n'était toutefois que l'une des raisons pour lesquelles ces Indiens demandèrent d'être assujettis à un traité. Les générations précédents avaient elles aussi connu des épidémies et la violence engendrée par l'abus de l'alcool, et elles avaient réussi à survivre. Note de bas de page 36 Ce qui avait changé, c'était l'ampleur des contacts des Indiens avec les Blancs. Les Blancs que la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique amena jusqu'au nord n'étaient pas nombreux - loin de là, si on compare la situation à celle qui régnait dans l'ouest du pays, mais leur arrivée menaça directement le mode de vie des Indiens. Les trappeurs blancs étaient, le chef Louis Espagnol s'en était plaint en 1884, les troupes de choc de l'ordre économique qui s'installaient.
"Les populations des animaux à fourrure diminuent très rapidement", écrivait laconiquement un négociant de la région du lac Huron, en 1886, "les trappeurs blancs tuent tous les castors, etc." Note de bas de page 37 Deux ans plus tard, l'un des collègues de ce négociant accusait les nouveaux chasseurs d'utiliser du poison, chose que les Indiens n'avait jamais faite. Note de bas de page 38 En 1889, T.C. Rae, qui était basé au poste de Mattawagamingue (très au nord de la voie de chemin de fer), expliqua que c'était à cause "du braconnage des trappeurs blancs et des hommes libres qui portaient leurs fourrures au poste de traite", du moins en partie, que la chasse au castor était mauvaise. Note de bas de page 39 Ce n'est pas que la CBH répugnait à acquérir ces fourrures. La majorité des fourrures reçues en 1888 au poste de Red Rock (situé à l'embouchure de la rivière Nipigon, sur le lac Supérieur), provenaient de Blancs (ces fourrures, selon le négociant déçu, "étaient mal apprêtées, ce qui diminuait leur valeur"). Note de bas de page 40
Une autre raison explique pourquoi l'arrivée des Blancs bouleversa le mode de subsistance des Indiens. La tradition indienne voulait que le plus proche parent d'une personne malade ne chasse pas tant que le malade n'avait pas recouvré la santé. Et quand un malade mourait, ses parents faisaient un deuil pouvant être long d'un an, se noircissaient le visage, portaient des vêtements déchirés et s'abstenaient de chasser sur les terres du défunt. Note de bas de page 41 En raison des épidémies de plus en plus fréquentes pendants les vingt dernières années du dix-neuvième siècle, les étrangers, contre qui on ne pouvait prendre les sanctions traditionnelles dont étaient punissables les Indiens, purent encore plus facilement faire disparaître, dans certaines régions, les espèces d'animaux à fourrure. Note de bas de page 42 Cette situation amena les Indiens, dont les membres de la bande de Louis Espagnol, à demander l'aide du gouvernement. "Les Indiens souffrent depuis plus ou moins longtemps d'un manque de soins médicaux", écrivit en mai 1885 le négociant établi au lac White en parlant des Indiens dont Louis Espagnol était le chef; il disait aussi :
leurs enfants, surtout, meurent en grand nombre. Il sera peut-être nécessaire de faire quelque chose pour que ces Indiens puissent recevoir à Sudbury, quand c'est absolument nécessaire, des soins médicaux. Comme vous le savez, le chefde la famille, chez les Indiens, ne travaille pas et ne chasse pas tant qu l'un des siens est obligé de garder le lit. Si les récoltes de maïs et de pommes de terre des Indiens n'avaient pas été mauvaises la saison dernière et si, cet hiver, les terrains de chasse indiens n'avaient pas été envahis par des trappeurs blancs qui exterminent les castors, etc., le compte qui vous est envoyé aujourd'hui pour les provisions fournies aux Indiens n'auraient pas été aussi impressionnant.. Note de bas de page 43
Ce n'est que dans la région de la rivière Albany que le mode de vie des Indiens ne fut que peu perturbé. En 1893, J. P. Donnelly, agent affecté auprès des Indiens à Port Arthur, signala que le chasse aux animaux à fourrure était plus profitable à la bande du lac Long qu'aux autres bandes parce qu'aucun trappeur blanc ne s'était encore manifesté chez eux. Donnelly recommanda qu'une loi interdise aux Blancs de chasser à la trappe "parce que la chasse à la trappe n'est pas un métier naturel pour eux et qu'ils ont beaucoup d'autres moyens de gagner leur vie, tandis que les Indiens n'ont pas d'autres moyens d'assurer leur subsistance que le commerce des fourrures et la pêche." Note de bas de page 44 Le magistrat ontarien qui était responsable des régions éloignées de la province, E.B. Borron, partageait l'opinion de Donnelly. À l'été 1886, Borron rencontra à Missanabie des membres de la bande indienne du lac Brunswick; ceux-ci étaient, selon le juge "extrêmement désireux de conclure un traité avec le gouvernement" :
Aucun traité n'a encore été conclu avec les Indiens de ce territoire en vue de la cession de droits qu'ils possèdent. Il serait peut-être prématuré, et dans les circonstances, injustifié de conclure un tel traité avec les indigènes vivant sur la côte de la baie James ou près de cette région. Mais pour ce qui est des Indiens de Missinaibi et les autres Indiens que j'ai promis aux chefs de représenter, il ne saurait être trouvé raisonnable d'hésiter. Le Canadien Pacifique parcourt leurs terrains de chasse sur une centaine de milles, ce qui, on ne peut en douter, entraînera tôt ou tard la destruction des espèces animales les plus importantes pour les Indiens, les animaux à fourrure, ainsi que celles, dans une certaine mesure, des réserves de poisson. Or, les Indiens n'ont que la chasse et la pêche pour assurer leur subsistance; il n'y en a pas un sur vingt qui fait pousser des légumes, ne serait-ce que des pommes de terre. Les Indiens ne peuvent donc pas compter sur d'autres ressources. Avec le train, on peut se rendre sur leurs terrains de chasse en toute saison...
Le juge affirmait aussi que les droits de la bande du lac Long, de même que ceux des bandes voisines de Flying Post et de Mattawagamingue, furent oubliés ou "entièrement et inexplicablement ignorés par le ministère des Affaires indiennes à Ottawa." Note de bas de page 45
Le magistrat Borron était beaucoup plus favorable aux aspirations des Indiens que le gouvernement ontarien, duquel il relevait. Il connaissait bien la question de la juridiction sur les Indiens, mais il était naïf de croire comme il le faisait que son gouvernement pourrait faire des démarches en faveur des Indiens. L'Ontario venait tout juste d'acquérir le territoire en question grâce à une décision du Conseil privé britannique qui avait été appelé à régler un litige opposant la province au Dominion. Comme nous le verrons plus loin, le ministère des Affaires indiennes n'avait pas du tout l'intention d'éveiller davantage l'antagonisme de l'agressif gouvernement ontarien qui s'opposait aussi, tant au niveau politique qu'au niveau juridique, aux dépositions des traités Robinson (1850) et du Traité no. 3 (1873).
Il est intéressant d'expliquer ici pourquoi Borron, un cadre à la retraite de l'industrie minière, de Sault-Ste-Marie, se rendit à Missanabie à l'été 1886. Faire régner la justice des Blancs était une tâche secondaire de Borron; ses voyages annuels dans le nord avaient pour but principal de renseigner le gouvernement sur les possibilités de développement industriel de la vaste région qui s'étendait au-delà du chemin de fer. Note de bas de page 46 Les rapports du magistrat ontarien, comme ceux de la Commission géologique du Canada (qui envoyait aussi des équipes d'examen au nord des Grands Lacs), eurent d'ailleurs pour effet de favoriser le développement de ladite région. On avait bien jalonné et développé, à partir des années 1840, de nombreuses concessions minières le long de la rive nord des lacs Huron et Supérieur (le point culminant de ces activités avait été le boum de l'or et de l'argent qu'on a connu près de Thunder Bay dans les années 1870), mais le fait que le transport intérieur était difficile entravait l'exploration des terrains situés plus profondément à l'intérieur des terres. Note de bas de page 47 Encore une fois, cependant, le Canadien Pacifique allait modifier les règles du jeu. À l'été 1899, les Indiens du lac Missinaibi et ceux des bandes voisines eurent une raison de plus de s'adresser au gouvernement.
Leurs interlocuteurs, cette fois-ci, furent deux agents supérieurs du ministère des Affaires indiennes, J. A. MacRae et Duncan Campbell Scott, qui s'étaient rendus dans les eaux d'amont de la rivière Moose pour donner leurs rentes annuelles aux Indiens des alentours visés par l'un ou l'autre des traités Robinson. McRae informa le surintendant général des Affaires indiennes que ces Indiens avaient parcouru de très grandes distances pour le voir et l'interroger sur ce que comptait faire le gouvernement pour les Indiens qui vivaient entre la baie James et les Grands Lacs et qui n'étaient pas partie à l'un ou l'autre des traités Robinson :
Ils ont affirmé avoir entendu dire qu'une voie de chemin de fer traverserait leur région; ils ont dit que déjà les mineurs, prospecteurs et arpenteurs étaient si nombreux dans leur région qu'ils nuisaient à leurs activités de chasse, que leur façon d'assurer leur subsistance avait commencé à changer et qu'on violait leurs droits...
McRae se réjouit d'avoir réussi à apaiser les Indiens en leur donnant l'assurance que "le gouvernement ne manquerait certainement pas de tenir compte de leurs demandes quant viendra le temps d'autoriser la réalisation de projets pouvant porter atteinte à leurs intérêts." Note de bas de page 48
Les demandes des Indiens se faisaient trop fréquentes pour qu'on les ignore. À l'été 1901, le chef Louis Espagnol prononça, à Biscoasting, une autre éloquente plaidoierie (destinée celle-là à un employé du ministère des Affaires indiennes, Samuel Stewart), dans laquelle il répétait que les Indiens établis près de la hauteur des terres voulaient être assujettis à un traité; il affirma que le gouvernement, en n'agissant pas, ne respectait pas une promesse faite par l'honorable W.B. Robinson en 1850. Note de bas de page 49 Et pour la première fois, les agents du gouvernement entendirent la voix des Indiens vivant dans les régions les plus éloignées de l'arrière-pays, au nord du lac Supérieur. En décembre 1901, Jabez Williams, employé affecté à Osnaburgh House par la CBH, fit parvenir à qui de droit une requête des Indiens vivant dans la région du lac St-Joseph, à l'embouchure de la rivière Albany, qui était alors la frontière entre les Territoires du Nord-Ouest et l'Ontario. Note de bas de page 50 "Depuis deux ou trois ans, on cherche des minéraux dans la région contiguë au lac St-Joseph", pouvait-on lire dans cette requête, "un groupe d'explorateurs a été vu sur le lac et ont descendu la rivière Albany jusqu'au lac Eabemet, pour trouver des minéraux." Les auteurs de la requête désiraient rencontrer les "représentants de Sa Majesté", l'été suivant, afin de pouvoir renoncer à leurs droits sur leurs terres et d'obtenir que "des annuités (leur) soient versées." Ils désiraient aussi discuter de la question de l'emplacement des terres qu'ils voulaient qu'on leur réserve, à eux et à leurs descendants, "étant donné que les Blancs ont déjà commencé à ériger des constructions sur certaines de ces terres." Note de bas de page 51
Il n'était pas particulièrement étonnant que les Indiens d'Osnaburgh connaissent les dispositions générales des traités conclus par l'État avec les indigènes : des liens commerciaux ou parentaux unissaient ces Indiens aux Indiens voisins de Nipigon, du lac Seul et du lac Sturgeon, qui étaient assujettis au traité Robinson-Supérieur ou qui avaient adhéré au Traité no. 3 en 1874, de même qu'aux Indiens de la partie supérieure de la rivière Berens, lesquels étaient assujettis au Traité no. 5 (1875). Note de bas de page 52 De plus, l'un des porte-parole indiens nommés dans la requête de 1901 était Poo-yah-way dont il était dit qu'il était un "Indien de la bande du lac Seul visé par un traité", même s'il vivait près du lac St-Joseph. Note de bas de page 53 On sait aussi qu'un employé de la Compagnie de la baie d'Hudson faisait de son mieux pour promouvoir l'idée d'un traité. Comme Jabez Williams le déclara dans la lettre qui accompagnait la requête des Indiens, adressée au surintendant général, c'est lui-même qui écrivit ladite requête à la demande des Indiens, après une réunion du conseil tenue à l'automne. Note de bas de page 54 Quatre ans auparavant, Williams s'était montré très intéressé par cette affaire; dans une lettre écrite en janvier 1897 au directeur intérimaire de la Commission géologique du Canada (cette lettre portait sur la recherchede minéraux dans la région de son poste), Williams rappelle que les titres des Indiens dans cette partie des Territoires du Nord-Ouest étaient encore valables :
Ne serait-il pas sage de la part du gouvernement de régler maintenant cette question avec les Indiens? Je me permets de faire cette suggestion parce que je sais qu'il peut être beaucoup plus facile et avantageux de régler une telle question avant que la civilisation ne s'installe et parce que je n'ignore pas non plus que ce type de question touche plus ou moins votre service. Note de bas de page 55
C'était, semble-t-il, l'habituel mélange d'altruisme et d'intérêt personnel qui animait Williams. Comme son supérieur immédiat, l'agent en chef Alex Matheson, et comme d'autres employés de la CBH (dont T.C. Rae du poste de Mattawagamingue), Williams avait investi de l'argent dans l'industrie minière, dans la région de Pic et de Michipicoten, et l'enthousiasme que soulevaient en lui ses affaires personnelles "était tel qu'il était considéré par la CBH comme un employé sur qui on ne pouvait se fier et indiscret. Note de bas de page 56 (there was no. 56) 57 goes here. Note de bas de page 57 Peu de temps après avoir envoyé à Ottawa la pétition de la bande d'Osnaburgh, Williams demanda au nouveau directeur de la Commission géologique du Canada, le célèbre géologue et explorateur Robert Bell, un exemplaire de toutes les cartes et de tous les rapports concernant la région du lac St-Joseph. "Les Indiens de la région ont demandé à être assujettis à un traité", écrivit Williams à Bell en mars 1902, "d'après ce qu'on m'a dit l'automne dernier, des prospecteurs seraient sur le point de gagner notre région; en fait, quelques-uns l'ont fait dernièrement. Les Indiens Crane, qui vivent au-delà du lac Cat, désirent être de la partie, de même que les Indiens de la bande d'Eabemet. Le gouvernement devrait saisir cette occasion." Note de bas de page 58 En juin 1902, Williams et l'agent en chef Matheson discutaient activement de la question des limites du territoire où pourrait s'appliquer un nouveau traité; ils pensaient que ce territoire devrait s'étendre du croisement des territoires décrites dans les ententes existantes, au sud, jusqu'aux eaux d'amont de la rivière Severn, et comprendre les terrains de chasse des "Indiens Crane." Note de bas de page 59 On trouve aussi dans les échanges qu'eurent Williams et Matheson l'idée, émise pour la première fois, que les Indiens n'étaient pas tous pressés également de conclure un traité avec l'État. "Depuis un certain temps, je pense que vos observations sur le projet de traité apparaissent être les plus judicieuses", écrivit Williams :
Quelle que soit l'action que fera le Ministère , le plus tôt sera le mieux.
Les Indiens d'Osnaburgh sont impatients. On éprouvera peut-être quelques difficultés avec les Indiens de Fort Hope; mais ces difficultés ne devraient pas être insurmontables; ils se sont montrés corrects, l'an dernier. À moins qu'ils aient changé d'idée, les Indiens d'aussi loin que la région de la rivière Attawapiskat, dans le nord de l'Albany, penchent en faveur de la conclusion d'un traité. Les Indiens catholiques Attawapiskats sont dirigés par Kachang; et ce dernier n'est pas pressé de voir le gouvernement exercer un contrôle dans sa région pour les raisons que vous connaissez... Note de bas de page 60
Si la signification de l'allusion énigmatique aux Attawapiskats n'est pas parfaitement claire, on ne risque pas de se tromper en affirmant que l'intérêt des bandes à l'égard des traités variait généralement, en 1901, en fonction de la distance qui les séparait du chemin de fer et des personnes qu'amenait le chemin de fer. S'il était prévu que les Blancs allaient venir s'établir dans la région, ce que les Cris et les Ojibways du nord voulaient avant tout, c'était un mécanisme de contrôle de l'arrivée des nouveaux venus, et ils s'attendaient à ce que le gouvernement, représenté par le ministère des Affaires indiennes, mette en place ce mécanisme. Si le gouvernement ne se montrait pas prêt à agir, certains groupes, c'était clair, étaient décidés à s'occuper de la question eux-mêmes. C'est ainsi qu'en 1903, par exemple, une expédition préparée par la Commission géologique du Canada (elle avait quitté Osnaburgh House et se dirigeait vers le nord) a d^retraiter devant le chef des Cranes (ce fait donnait, semble-t-il, un démenti à l'affirmation de Jabez Williams selon laquelle les Cranes étaient impatients de conclure un traité avec l'État). En 1904, l'expédition fut à nouveau stoppée par des Cranes, au nord du lac Cat. "Le chef nous invita à camper avec lui", écrivit Charles Camsell plusieurs années après l'événement; "son invitation ressemblant fort à un ordre, je jugeai sage de l'accepter." Le chef fit comprendre à Camsell que, "tant qu'il sera le chef de sa bande, il interdira l'accès de son territoire à tout Blanc et qu'il nous faudrait retourner dans le sud le lendemain matin." Quand l'expédition décida de continuer son chemin, on lui donna un guide crane, on l'avertit que les pires dangers la guettait et on l'informa que le chef se porterait à sa rencontre, sur le chemin de son retour, et fouillerait ses bagages. Note de bas de page 61
C'était justement là le genre de situation que le gouvernement fédéral voulait éviter. On en avait vécu une semblable, en 1872; on avait dû mettre fin à des activités dans une mine d'or, près du lac Jack Fish (à l'ouest du lac Supérieur), suite à l'intervention du chef ojibway Blackstone et de sa bande; les activités ne purent reprendre qu'après la conclusion d'un traité avec cette bande, ce qui fut fait l'année suivante. Note de bas de page 62 À la fin de 1849, les chefs Shingwakonce et Nubenaigoching prirent la tête d'une troupe de guerriers et se rendirent à la baie Mica, au nord de Sault-Sainte-Marie, pour évincer des mineurs qui s'étaient mis à l'oeuvre même si aucune entente n'avait été conclue avec les Ojibways de la région. Note de bas de page 63 En 1901, l'inspecteur des organismes Indiens, J. A. Macrae, prévint les autorités compétentes que des événements semblables pourraient se produire à l'avenir; dans un document adressé au surintendant général,dans lequel il décrivait la demande des Indiens du lac Missinaibi portant sur leur désir de conclure un traité avec le gouvernement, il suggéra qu'on charge quelqu'un de collecter, pendant plusieurs semaines, des renseignements sur les Indiens vivant au-delà de la ligne de chemin de fer. Ce faisant, on aurait une évaluation satisfaisante du nombre des Indiens de la région et une bonne idée de l' "état d'esprit" de ces Indiens; de plus, "on éviterait que des complications entachent les relations entre les Indiens et ceux qui viendraient exercer des activités sur leur territoire. " Macrae rappela à ses supérieurs que ce sont des "complications"qui furent à l'origine des traités Robinson. Note de bas de page 64 Il peut être permis de trouver un peu ironique de voir cet employé gouvernemental dire craindre la survenance d'événements malheureux, quand on sait que si on avait voulu éveiller l'hostilité des Ojibways et des Cris, on n'aurait pu imaginer rien de mieux que de continuer à tarder à s'occuper du fond des plaintes de ces Indiens concernant l'entée des Blancs sur leur territoire, et qu'il fallut deux années entières à cet employé pour qu'il communique au surintendant général un compte rendu de la rencontre que lui et D.C. Scott avaient eue avec des Indiens non assujettis à un traité, au lac Missinaibi. Entre temps, des arpenteurs-géomètres et des explorateurs s'étaient mis à l'oeuvre, et Macrae en informa Clifford Sifton, avant que ne furent prêtes les propositions relatives au chemin de fer et à l'établissement de Blancs dans le nord de l'Ontario. Note de bas de page 65 Si les Indiens avaient été mieux renseignés sur ce que faisait le gouvernement, ils auraient peut-être jugé bon de chercher à faire peur à un certain nombre d'autres équipes d'arpenteurs.
C'est presque vingt ans après l'introduction du Canadien Pacifique dans le nord de l'Ontario que le gouvernement fédéral commença à s'occuper sérieusement de la question des droits des Cris et des Ojibways du nord, et ce, parce qu'un fonctionnaire de niveau intermédiaire, Macrae, décida qu'il était devenu impossible de retarder davantage l'échéance. "Des événements récents ont semblé rendre utiles aujourd'hui qu'on vous informe des faits susmentionnés", écrivit l'inspecteur des organismes indiens à son supérieur politique, Sifton, dans une lettre où il expliquait pourquoi il n'avait pas fait parvenir plus tôt la demande des Indiens concernant la passation d'un traité, "les Blancs, ajouta-t-il, ont déjà commencé à peupler et à utiliser le territoire sur lequel les Indiens ont des droits reconnus et non éteints." Note de bas de page 66 Mais quelle était au juste l'importance du territoire indien ainsi envahi? Pour aider le surintendant général à y voir clair, Macrae joignit à son document du 3 juin 1901 une carte où une vaste partie du Québec et de l'Ontario actuels est représentée comme une terre non cédée. Note de bas de page 67 C'est là le fait crucial qui différenciera le futur traité de la baie James des traités précédents (y compris le Traité no. 8 négocié deux ans plus tôt avec les habitants indigènes des Territoires du Nord-Ouest). Note de bas de page 68 Les Ojibways et les Cris du nord allaient bientôt devoir faire face aux écueils des relations fédérales-provinciales.
Une juridiction partagée
Clifford Sifton demanda sans tarder à l'avoué du ministère d'examiner le rapport de Macrae; ce fait laisse à penser qu'il prévoyait les difficultés d'ordre juridique que pouvait poser la question de la passation d'un traité avec les Indiens, en Ontario ou au Québec. Le conseil que donna Réginald Rimmer au surintendant général était simple : ne pas répéter l'erreur commise par le gouvernement fédéral dans le cas du Traité no. 3 (1873), agir avec les provinces. "À moins que le Dominion ne soit prêt à courir le risque d'être considéré comme responsable de tous les pactes et de voir les provinces tirer tous les avantages de ces derniers", écrivit Rimmer le 24 juin 1901, "il faut, selon moi, obtenir le consentement de chaque province." Note de bas de page 69 Mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Depuis la création de la Confédération, de nombreux différends avaient opposé le gouvernement fédéral à l'Ontario et au Québec au sujet des frontières de ces provinces et des obligations financières de ces dernières découlant, entre autres, des ententes qui prévoyaient le versement d'une rente annuelle aux Indiens visés par un traité.
La première question qu'on souleva fut celle des frontières. La frontière occidentale du Canada Ouest (autrefois, le Haut-Canada) n'avait jamais été clairement définie; on considérait la hauteur des terres, au nord des lacs Huron et Supérieur, comme étant la limite septentrionale de cette province. Sur les cartes produites avant la création de la Confédération, la région située au-delà de cette ligne de partage des eaux était généralement considérée comme une région cédée à la Compagnie de la baie d'Hudson et aux Indiens. Note de bas de page 70 Cette situation n'était pas jugée acceptable, toutefois, par le gouvernement ontarien d'Olivier Mowat, qui commença à affirmer avec insistance que la vraie limite occidentale était le lac des Bois et que sa frontière septentrionale était la baie James et la rivière Albany. En 1884, le comité judiciaire du Conseil privé impérial, qui était alors le plus haut tribunal au pays, démontrant encore une fois que l'histoire et la Loi s'opposent souvent, accordait à l'Ontario le territoire qu'elle disait lui appartenir. Note de bas de page 71 Le gouvernement fédéral s'opposait surtout à ce que l'on modifie la limite septentrionale de l'Ontario parce que, comme l'expliqua prophétiquement John A. Macdonald au lieutenant-gouverneur ontarien, en 1887, il en résulterait qu'il faudrait aussi étendre le territoire du Québec jusqu'à la baie James :
Si vous regardez sur une carte la région immense qu'il est proposé d'ajouter aux deux provinces, vous constaterez que ces provinces jouieraient d'une grande prépondérance sur les autres provinces. L'histoire se répéterait et les générations futures verraient que les maux dont ont souffert d'autres fédérations à cause de la prépondérance de l'un des ses membres ou de plusieurs de ses membres, affligent aussi la Confédération canadienne. Note de bas de page 72
Pour des raisons politiques qui lui sont propres, le Dominion continua de revendiquer la propriété des ressources naturelles des terres situées au nord et à l'ouest du lac Supérieur que l'on se disputait, et ce, en vertu du Traité no. 3 (1873) conclu avec les Indiens de la région. Mais en 1883, quand il délivra un permis de coupe pour la région du lac des Bois à la St. Catherines Milling and Lumber Company, l'Ontario s'adressa à la justice. En juillet 1888, le comité judiciaire du Conseil privé statua que le gouvernement fédéral assumait la responsabilité, en conformité avec la constitution, "des Indiens et des terres réservées aux Indiens", mais que les provinces étaient les titulaires de tous les droits d'usufruit portant sur des terres dont les titres ont été cédés par les Indiens en vertu d'un traité. Le permis fédéral d'exploitation forestière n'était pas valide. Note de bas de page 73
L'affaire de la compagnie St. Catherines Milling eut de grandes conséquences. Obligé de renoncer à son moyen de droit juridictionnel, le gouvernement fédéral accepta que soit adoptée la Loi établissant la limite entre l'Ontario et le Canada impérial (1889), laquelle confirmait la décision de 1884 du Conseil privé. Note de bas de page 74 Le gouvernement ontarien, de son côté, affirmant revendiquer des droits appartenant aux provinces, entrepris de contester le statut des réserves attribuées aux Indiens du nord-ouest de l'Ontario par les commissaires responsables du Traité no. 3, avant le règlement définitif de la question des frontières. Le 6 avril 1894, les deux gouvernements conclurent une convention formelle concernant les réserves définies dans le Traité no. 3, en se conformant aux lois adoptées en 1891 par leurs assemblées législatives. Note de bas de page 75 La sixième clause de cette convention prévoyait ceci : "À l'avenir, aucun traité ne sera fait avec les Indiens, concernant du terrain de la province d'Ontario non cédé à l'époque de la passation desdits status, sans le concours du gouvernement de cette province." Note de bas de page 76 Comme il n'y avait que peu de terres ontariennes non touchées par un traité, on peut affirmer que cette clause visait principalement les terres du nord ajoutées tout récemment au territoire de l'Ontario. Note de bas de page 77 Il n'y a pas de doute que le gouvernement ontarien savait que les Indiens n'avaient pas renoncé à tous leurs droits sur le territoire faisant l'objet du litige; son représentant, E.B. Borron, magistrat d'un tribunal d'instance, l'en avait informé dès 1886.
Selon l'Ontario, l'entente de 1894 ne portait pas seulement sur la délimitation des réserves indiennes ontariennes; elle portait aussi sur tous les autres aspects des traités à venir, y compris leurs coûts. Depuis les années 1870, l'Ontario et le Québec menaient un combat d'arrière-garde contre le Dominion - et l'un contre l'autre - au sujet de la question suivante : qui était responsable du versement des rentes plus élevées dues aux Indiens des lacs Huron et Supérieur en vertu de la clause "ascenseur"contenue dans les traités Robinson (1850) négociés au nom de l'ancienne province du Canada Ouest. Note de bas de page 78 Cette question fut débattue à différents niveaux puis fut tranchée par le comité judiciaire du Conseil privé; le Dominion perdit sa cause encore une fois. Note de bas de page 79 L'Ontario ne s'opposait pas seulement à une augmentation de ses obligations financières; son conseiller, Aemilius Irving (c'est lui qui avait rédigé l'entente de 1894), passa beaucoup de temps à attaquer les listes elles-mêmes de rentes annuelles des traités Robinson. Utilisant les services de personnel telles que le juge E.B. Borron, Irving fit valoir que toutes sortes de personnes n'ayant pas droit à une annuité ("Métis", Indiens de l'île Manitoulin, Indiens vivant au-delà de la hauteur des terres) recevaient de l'argent en vertu d'un traité; il menaça de soumettre aussi cette question à des arbitres. Note de bas de page 80 Prévoyant perdre sa cause, le surintendant général chargea l'inspecteur des organismes indiens, J.A. Macrae, le comptable du Ministère , D.C. Scott, d'apporter les changements nécessaires aux listes de personnes ayant droit à une rente. C'est dans le cadre de cette mission que Macrae et Scott se rendirent, en 1899, dans les eaux d'amont de la rivière Moose, où leur fut remis la pétition des Indiens de la région non visés par un traité. Note de bas de page 81
Compte tenu de ce contexte, il n'est pas étonnant que le ministère des Affaires indiennes n'ait pas répondu aux demandes des Indiens désireux d'être assujettis à un traité, et que Macrae ait attendu deux ans avant de transmettre au surintendant général la requête des Indiens du lac Missinaibi. Cette situation était très injuste pour les Indiens qui présentaient des requêtes; d'un autre côté, il n'y avait rien à gagner à susciter sans raison l'hostilité du gouvernement provincial. Dans un mémoire adressé à Clifford Sifton en 1901, le juriste Reginald Rimmer montrait qu'il partageait une crainte très répandue en affirmant que l'Ontario "pourrait ne tenir aucun compte de tout traité conclu sans son accord"et qu'elle pourrait concéder des terres pour lesquelles les Indiens possédaient des titres valables. Note de bas de page 82 Quant à savoir si cette dernière action aurait été légale ou non, c'est une autre question; les tribunaux ne se sont pas prononcés là-dessus lors de l'affaire de la compagnie St. Catherines Milling parce que la région faisant l'objet du litige était déjà assujettie à un traité valable (Traité no. 3). Note de bas de page 83 Un fait est certain, c'est que l'Ontario avait acquis l'habitude de ne pas tenir compte des titres des Indiens. Juste avant la passation du Traité no. 3, en 1872, le surintendant général adjoint, William Spragge, signala au Cabinet que les négociations portant sur la cession de l'étendue de terre comprise entre les territoires délimités par le Traité Robinson-Supérieur (1850) et les territoires délimités par les Traités nos. 1 et 2 (1871) avaient été rompues parce que les Indiens "ont pris ombrage de voir que la province de l'Ontario vendait et concédait des terres pour lesquelles ils possédaient des titres valables, et qu'ils ne recevaient rien en retour." Il rappela au gouvernement que dans les années 1840, les Indiens de Sault-Sainte-Marie forcèrent des mineurs à quitter leur région, après que des permis d'exploitation minière eurent été délivrés dans des circonstances semblables. Selon Spragge, les actions de l'Ontario allaient à l'encontre de la Loi sur les Indiens de 1860. Note de bas de page 84 Le gouvernement du Dominion, qui assumait la responsabilité des Affaires indiennes à la place de la Couronne britannique, réussit beaucoup moins bien que ses prédécesseurs à mettre un frein aux actions des gouvernements colonisateurs. Jusqu'à ce que se produise, dans les années 1840, l'incident dont nous venons de parler, les représentants de la Couronne sur le territoire qui est aujourd'hui l'Ontario avait appliqué rigoureusement la Proclamation royale de 1763. Aucun levé n'était fait, aucune concession faite, avant que la terre n'ait été achetée aux Indiens qui y vivaient. Note de bas de page 85 Les particuliers ne pouvaient même pas espérer acquérir par l'usage le titre légal de propriété d'une terre indienne en l'occupant (les "droits des squatters" n'existaient pas). Note de bas de page 86
Ce qui est particulièrement curieux au sujet de la crainte exprimée en 1901 par Reginald Rimmer de voir la province contrevenir à tout nouveau traité conclus sans son consentement ou ne pas tenir compte d'un tel traité, c'est que, l'Ontario ne tenait déjà pas compte, comme d'habitude, des titres des Indiens sur le territoire dont la cession était envisagée. C'était l'Ontario, après tout, qui avait juridiction sur les trappeurs blancs qui harcelaient les Indiens du chef Espagnol et les autres Indiens vivant au nord des lacsHuron et Supérieur. C'était l'Ontario qui avait accordé des permis aux arpenteurs-géométries et aux prospecteurs miniers au sujet desquels les Indiens adressaient des plaintes aux représentants du gouvernement fédéral. Et c'était l'Ontario (les Cris et les Ojibways allaient le découvrir plus tard) qui avait déjà délivré des permis de coupe de bois pour des terres que les Indiens désiraient garder pour eux. Les incursions desBlancs étaient un fusil pointé sur la tempe des Indiens; l'Ontario avait le doigt sur la gâchette.
Si des agents du gouvernement fédéral (Rimmer, etc.) pouvaient avancer qu'il faudrait obtenir le consentement de la province avant de conclure tout nouveau traité, les opinions concernant la forme que pourraient revêtir ledit "consentement" et les traités variaient. Quand on reçut, au début de 1902, la demande d'adhésion à un traité des Indiens d'Osnaburgh, le surintendant général la transmit à J.A.J. McKenna, commissaire aux Affaires indiennes, pour qu'il l'étudie et fasse savoir ce qu'il en pense. Le commissaire rappela à Clifford Sifton que les Affaires indiennes relevaient de la compétence du gouvernement fédéral et non des provinces et que, par conséquent, "les provinces ne devraient pas être l'une des parties des traités." Il suggéra que l'on conclue plutôt une espèce d'"entente" qui n'irait pas à l'encontre de la politique générale concernant les Indiens. Il seyait à McKenna , qui venait tout juste de participer à la négociation du Traité no. 8 une partie du pays - les Territoires du Nord-Ouest - où les Métis étaient nombreux, de proposer de commencer par régler les problèmes touchant les "Métis". Pour éviter que l'on manque de "cohérence", McKenna ajouta que la cession des titres des Indiens devrait être limitée à l'Ontario et au Québec et prendre le forme d'une adhésion au Traité Robinson-Huron (1850). Note de bas de page 87 Pour les Indiens d'Osnaburgh, qu'on trouvait à la fois en Ontario et dans le district voisin de Keewatin, cela aurait signifié que plus de la moitié d'entre eux n'auraient pu être assujettis à un traité.
Avant qu'un dossier définitif n'ait pu être soumis au surintendant général en août 1903, des changements importants avaient été apportés par des agents du Ministère . On rejeta l'idée de créer une adhésion au Traité Robinson, surtout en raison de l'opposition bien connue de l'Ontario à la clause dudit traité prévoyant une augmentation de la rente annuelle. Un nouveau traité, que l'on pourrait appeler "Traité no. 9 ou Traité de la baie James" serait plutôt conclu avec les seuls Indiens de l'Ontario, parce que "les titres des Indiens au Québec n'ont jamais été reconnus ou cédés comme ils l'ont été en Ontario"; on prévoirait cependant obtenir du Québec qu'on établisse des réserves indiennes appropriées "en temps opportun". Dans le mémoire, il était encore une fois souligné que ni le Québec, ni l'Ontario ne serait l'une des parties de la nouvelle entente, qui prendrait la forme des traités numérotés conclus depuis les années 1870 (avec les "restrictions nécessaires") plutôt que celle des traités plus anciens. Note de bas de page 88
Le Dominion attendit tout près d'un an avant d'informer l'Ontario de ses nouvelles intentions. Ce qui semble avoir précipité les choses, c'est une lettre que reçut le Premier Ministre Wilfrid Laurier à la fin d'avril 1904. Cette lettre lui annonçait la découverte de minéraux le long de la route du nouveau Grand Tronc du Canadien Pacifique, dans le nord-ouest de l'Ontario; elle lui rappelait que les droits des Indiens de cette région n'avaient pas encore été cédés. Note de bas de page 89 Le 30 avril, le surintendant général adjoint décrivit par écrit au commissaire ontarien des terres de la Couronne "les principales stipulations sur lesquelles le traité serait basé" :
Il est proposé d'offrir aux Indiens une rente annuelle maximale de 4,00 $ par tête et de leur donner, au premier paiement de cette rente et uniquement en cette occasion, une somme d'argent égale à ladite rente. Il est également proposé d'établir des réserves d'une étendue suffisante dans des régions choisies par les Indiens, en accordant une attention particulière aux besoins de ces derniers; ces réserves seraient détenues en fiducie par le Ministère, elles seraient libres de tous droits provinciaux sur le bois des forêts qu'elles comprendraient ainsi que sur les métaux de base et les métaux précieux qu'elles renfermeraient. Il faudrait que le gouvernement de l'Ontario, au cours de l'année suivant le choix de leurs réserves par les Indiens ou à tout moment subséquent, à la demande du Ministère, fasse un levé des territoires choisis et confirme le choix des Indiens. Il est proposé que les écoles de jour qui seraient mises sur pied dans les réserves fournissent les services d'instruction qu'elles assurent normalement. Il est soutenu que, étant donné que toute la superficie du territoire serait, en vertu de traité, placée sous la compétence de la province et libre de tous droits indiens, c'est l'Ontario qui devrait assumer la responsabilité financière des réserves et fournir ces réserves. Note de bas de page 90
La réponse de l'Ontario, rédigée, comme d'habitude, par Aemilius Irving, n'avait pas de quoi surprendre le gouvernement fédéral. L'avocat octogénaire y rappelait, avec humeur, l'accord du 16 avril 1894 et l'entente conclue en 1902 par les conseillers des deux gouvernements à l'occasion de l'appel auquel avait donné lieu l'affaire Ontario Mining Company c. Seybold (autre différend juridique au sujet du statut des réserves indiennes dans le nord-ouest de l'Ontario). "Le gouvernement de l'Ontario n'accepte pas que le ministère des Affaires indiennes, écrivit Irving, puisse, sans son consentement, négocier un traité avec des Indiens et prévoir que c 'est l'Ontario qui assumerait la responsabilité financière des réserves et qui devrait fournir ces réserves." Note de bas de page 91
La réplique du Ministère fut celle d'un plaideur offensé. On n'a pas oublié de tenir compte des ententes mentionnées, répondit le surintendant général adjoint, Frank Pedley, le 23 juin, le Dominion cherchait, par des moyens appropriés, à obtenir le "consentement" de la province, en se conformant à sa politique destinée à préparer l'introduction du chemin de fer "en obtenant des Indiens qu'ils cèdent leurs droits sur les territoires devant être exploités." L'Ontario, souligna Pedley, était sur le point de recevoir un incroyable cadeau :
Les conditions sur lesquelles le traité pourrait être basé sont les conditions maximales qui seraient, en tout état de cause, offertes aux Indiens. Ces conditions sont en effet les mêmes que celles du Traité Robinson; le gouvernement concerné peut être considéré chanceux de pouvoir aujourd'hui obtenir la cession de titres indiens moyennant une contre-partie jugée acceptable en 1850. Note de bas de page 92
L'Ontario retarda l'affaire pendant presque un an, en dépit des appels très insistants que lui lançaient le Ministère qui avait prévu procéder à des négociations à l'été 1904, pour discuter du "nouveau traité avec les Indiens". Note de bas de page 93 Finalement Pedley envoya au commissaire des terres de la Couronne, le 8 mai 1905, un projet de décret du conseil dans lequel on décrivait rapidement les conditions proposées du traité et où on pressait la province d'accepter ce traité "avant que les Indiens n'aient davantage de contacts avec les Blancs, qui pourraient facilement les pousser à faire des demandes additionnelles." Note de bas de page 94
Ce dernier argument semble avoir été décisif. Le 1er juin, le trésorier de la province de l'Ontario accepta par écrit, au nom de son gouvernement, les conditions du traité, auquel il apporta toutefois deux changements importants. Les réserves, au lieu d'être choisies par les Indiens, seraient définies par les commissaires; l'un des commissaires serait nommé par le gouvernement provincial. Note de bas de page 95 Le Dominion accepta la seconde modification; il changea la formulation de la première de manière que les opinions des commissaires et des Indiens soient plus susceptibles de s'"harmoniser"; le "projet de Traité de la baie James" que Pedley envoya à Matheson le 12 juin - identique en tous points au traité définitif - stipulait que la délimitation des réserves serait "faite par les commissaires de Sa Majesté et par les chefs." Note de bas de page 96 Le reste du document s'inspirait fidèlement des autres traités numérotés. La clause concernant les droits de chasse et de pêche est identique, mot pour mot, à celle du Traité no. 8 (1899). Note de bas de page 97
Mais le gouvernement ontarien voulait encore apporter des changements. Le 23 juin, son trésorier informa Pedley que le conseiller de la province (toujours Aemilius Irving) avait proposé de chercher à conclure une entente par laquelle "serait définie la responsabilité de la province découlant du traité." Matheson joignit à sa lettre un ordre du conseil modifié et un projet d'entente dans lequel il était énoncé que l'Ontario paierait au Dominion le montant des rentes annuelles et accepterait l'établissement de réserves, et que tous les autres paiements et dépenses à venir seraient assumés par le gouvernement fédéral. On demandait aussi qu'on exclût des réserves tout territoire sur lequel pourrait être produite une force hydraulique supérieure à 500 chevaux-vapeur; le projet d'entente prévoyait également que les coûts du traité seraient à la charge du Dominion et que ce dernier paierait le commissaire de l'Ontario. Note de bas de page 98 Le 26 juin, le gouvernement fédéral accepta les conditions de l'Ontario; il jugeait qu'il n'était pas "souhaitable que des populations indiennes soient établies près des grandesagglomérations, qui se forment habituellement près de grandes chutes susceptibles de servir à la production d'une force hydraulique pouvant être utilisée facilement par des entreprises." Note de bas de page 99 Le gouvernement fédéral accepta aussi de verser 10,00 $ par jour au commissaire ontarien. Note de bas de page 100 C'est le 3 juillet que l'accord entre l'Ontario et le Dominion fut conclu officiellement. Le 29 juin 1905, un "ordre de Son Excellence en conseil"chargea les deux commissaires fédéraux (Duncan Campbell Scott et Samuel Stuart, tous deux employés du Ministère) et le commissaire ontarien (Daniel McMartin, avocat de Perth, Ontario) de "négocier un traité avec les Indiens". Note de bas de page 101
Mais restait-il quelque chose à négocier, pourrait-on se demander. Si le traité projeté devait être un contrat - le comité judiciaire du Conseil privé venait de statuer que de tels traités étaient des contrats - on pouvait présumer qu'ils ne pouvaient être conclus qu'avec le consentement des deux parties, après que celles-ci eurent pu soumettre ses clauses à une certaine négociation. Note de bas de page 102 Au moins un certain nombre des traités conclus avec le Indiens avaient fait l'objet de négociations véritables; le meilleur exemple, c'est le Traité no. 3. Les Indiens du lac des Bois et de la région avaient refusé, entre 1869 et 1872, les premières propositions du gouvernement fédéral concernant la cession des terres, et obligé l'État à présenter une offre supérieure. Note de bas de page 103 Le décret du conseil du 3 juillet 1905, qui approuvait le projet de Traité de la baie James, donnait certainement à entendre que des négociations devaient être tenues; on y parlait en effet de l'argent devant être donné aux Indiens "si un traité était conclu"; toutefois, on y précisait ensuite que les conditions proposées étaient les conditions maximales pouvant être offertes aux Indiens. Note de bas de page 104 Si nous comparons le traité projeté au Traité no. 3, nous voyons que la rente annuelle prévue dans l'entente projeté était inférieure de un dollar (quatre dollars au lieu de cinq dollars), à celle versée en vertu de l'entente en vigueur, qu'on ne distribuerait ni munitions ni filets aux Indiens, qu'on ne leur donnerait ni instruments aratoires ni outils, et que les chefs et conseillers ne recevraient ni salaires ni vêtements. Note de bas de page 105 Connaissant les requêtes soumises au gouvernement par les Indiens, en particulier celles provenant des bandes vivant le plus près du chemin de fer, le Ministère supposait indubitablement que les Ojibways et les Cris du nord allaient accepter toute proposition gouvernementale. Mais que serait-il arrivé si des Indiens avaient refusé la proposition? Il ne fait pas de doute que l'Ontario aurait continué à peupler et à développer les terres qu'elle voulait. Ce fait et la prétention de la province à l'exercice d'un droit de veto sur les clauses du traité enlevaient aux Indiens tout pouvoir de négociation. Les commissaires chargés de négocier le traité le savaient parfaitement. Comme l'expliqua Duncan Campbell Scott dans un article publié en 1906 dans la revue américaine Scribners, les Indiens devaient faire certaines promesses "et nous devions faire certaines promesses, mais nos objectifs et nos raisons étaient pareillement inconnaissables" :
Que pouvaient-ils comprendre de la décision des lords juristes de la Couronne concernant la possession des terres par les Indiens, et des négociations compliquées qu'avaient tenues le Dominion et la province et qui avait rendu possible la conclusion d'un traité, et du sens de la politique traditionnelle qui planait sur toute d'affaire? Rien. Rien ne pouvait donc servir de point de départ à une discussion. Il fallait simplement énoncer les faits et émettre l'idée que le roi est le bon père des Indiens, qu'il veille sur leurs intérêts et qu'il est toujours compatissant. Note de bas de page 106
Pour voir comment cette réalité désagréable fut présentée aux Indiens, nous allons suivre Duncan Campbell Scott et les autres commissaires dans les périples en canot qu'ils firent l'été dans le nord sauvage de l'Ontario, en 1905 et en 1906.
Duncan Campbell Scott descend la rivière
Les commissaires chargés de négocier le Traité no. 9 arrivèrent par train à Dinorwic, dans le nord-ouest de l'Ontario, le 2 juillet 1905, un médecin, A.G. Meindl, et deux policiers du Dominion, James Parkinson et J.L. Vanasse, les accompagnaient. Le négociant en chef, T.C. Rae, les accueillit; Rae avait été mandaté par la CBH pour accompagner les commissaires dans leurs déplacements. Avec l'aide de Rae et de ses guides de la rivière d'Albany, les commissaires et leurs compagnons entreprirent, le lendemain de leur arrivée, le voyage en canot qui devait aboutir à Osnaburgh House; dans leurs bagages, il y avait des milliers de dollars (des petites coupures), des drapeaux et des médailles pour les chefs, des produits médicaux et un gros et encombrant appareil photographique. Les merveilleuses plaques prises par Duncan Campbell Scott suffiraient à empêcher que le Traité de la baie James ne tombe dans l'oubli; ces photographies des Indiens du nord de l'Ontario sont aussi évocatrices que les portraits indiens, plus célèbres, d'Edward Curtis, mais elles ont un aspect romantique beaucoup moins prononcé. Note de bas de page 107 Voyez, par exemple, ces Indiens de Fort Hope qui attendent la signature du traité; les uns portent leurs vêtements traditionnels, les autres arborent des vêtements occidentaux et ont les cheveux courts. Voyez aussi cette famille indienne dans sa tente, au poste d'Abitibi; une machine à coudre toute neuve se détache nettement, à l'arrière. Revoici maintenant notre vieil ami le chef Louis Espagnol, "extrêmement élégant", paré de ses plus beaux atours, posant devant le magasin de la CBH, à Biscoasting. Et qu'est-ce qui aurait pu mieux faire comprendre le message que le gouvernement voulait livrer aux Indiens confiés à sa garde que la vue de l'expédition chargée de négocier le traité arrivant au lac Long drapeaux au vent? Voyez aussi les commissaires se détendant devant leur tente officielle, portant le complet et la cravate appropriés, flanqués de leurs policiers en uniforme. Les membres de l'expédition semblant cependant un peu ridicules, à l'observateur d'aujourd'hui, dans leurs activités non officielles : le commissaire Scott faisant du portage ressemble à un apiculteur désabusé à contenter avec son casque colonial en sola et son moustiquaire; une famille de commerçants, observant les règles vestimentaires et le décorum victoriens, se tient devant un canot de la CBH, en pleine nature sauvage (tout ce beau monde aurait pu tout aussi bien être de passage dans un village indigène du Mashonaland ou dans une station d'une colline himalayenne de l'Empire britannique).
Les membres de l'expédition semblent s'être amusés énormément. D'ailleurs, qui n'aurait pas préféré faire un voyage dans l'exotique nord ontarien plutôt que de se trouver en pleine canicule à Ottawa? Duncan Campbell Scott était une figure assez connue du monde littéraire (encore qu'il n'est plus lu aujourd'hui) et il préférait naturellement ses activités d'homme de lettres à son travail. "Le ministère des Affaires indiennes n'était pas l'un des ministères les plus exigeants", écrivit Mme Macbeth, amie de Scott, après l'expédition, "Duncan avait donc pas mal de temps libre pendant ses heures de travail. Il ne réprimait pas ses impulsions artistiques; avec ferveur, il faisait plutôt ses exercices de piano." Note de bas de page 108 L'air du nord stimula la muse de Scott. Son ami Pelham Edgar, un professeur d'anglais au Victoria Collège de Toronto et qui était le secrétaire de l'expédition de 1906, en fut impressionné. L'Oxford Book of Poetry était toujours à la portée de la main, écrivit-il en Abitibi en juin 1906, "pendant que je pagayais, il arrivait souvent que Duncan lise...sur Island Lake, Duncan a commencé un poème qu'il continue de travailler. Il ne me l'a pas encore montré.
Ce matin, il m'a lu deux histoires magnifiques qu'il a écrites récemment." Note de bas de page 109 Mais les yeux du poète étaient posés sur le district d'English Lake, ils n'étaient pas tournés vers le pays d'arbustes que des peintres comme Tom Thomson avait déjà si bien rendus:
Le murmure d'une feuille s'éteignit avec lenteur.
Vers la lune, pareille à un être fantasmagorique géant,
S'élevait la fumée de notre feu de camp,
S'échappant entre les sapins.
Une incantation de labiales et de liquides sans cesse répétée,
Nissait de la rencontre des eaux enchantées du lac et de son fonds rocheux,
Sur lequel resposait notre canot d'écorce,
Poussé par une brise qui l'effleurait à peine,
Et qui se faufilait parmi des noisetiers,
Faisant entendre comme un doux bruit d'aile.
Cachée, à demi endormie, une grive rompit délicieusement le silence,
Puis se tut, comme charmée par sa propre musique. Note de bas de page 110
C'était une véritable expédition de lettrés. Les commissaires Scott et Stewart tenaient un journal. Note de bas de page 111 Scott renseigna les lecteurs du Scribners sur ses voyages. Pelham Edgar, qui passa beaucoup de temps à pêcher ("les Indiens m'avaient donné deux noms longs, écrivit-il, l'un signifiait "l'homme qui demande toujours où pêcher la truite", l'autre pouvait se traduire ainsi : "l'homme qui pêche toujours et n'attrape jamais rien" Note de bas de page 112), fit paraître plusieurs articles sur les déplacements entourant le Traité no. 9 dans un périodique, Canada, qui n'existe plus depuis longtemps. Note de bas de page 113 L'agent de police Joseph Vanasse, pressé de le faire par le professeur Edgar, prit lui aussi la plume pour décrire les coutumes des Indiens qu'il observa au lac Seul, en 1905. Note de bas de page 114 En 1906, pendant la dernière partie de leur périple, les commissaires étaient accompagnés par le peintre Edmund Morris, fils du lieutenant-gouverneur du Manitoba (celui-ci avait participé à la négociation de plusieurs traités numérotés); le Royal Ontario Museum de Toronto possède des pastels charbonnés de Morris représentant des Indiens de Chapleau, de Missinaibi et du lac Long. Note de bas de page 115
Nous étions en pleine époque victorienne et les commissaires n'oubliaient jamais de signaler qu'une bande se distinguait par sa propreté ou sa piété. "Il est facile, nota Scott, de se rendre compte du travail de civilisation que la Société des missionnaires de l'Église opère à Osnabourgh. Il y a une très bonne chapelle et les Indiens vont y faire des exercices religieux tous les soirs." Note de bas de page 116 À Mattagami, les Indiens "étaient bien vêtus et paraissaient vivre dans un état de bien-être; ils se tenaient plus proprement que ceux que nous avions auparavant rencontrés." Note de bas de page 117 On loua aussi beaucoup les prêtres catholiques et les pasteurs anglicans de Fort Albany, dont la mission catholique, selon Scott, "présente un aspect de prospérité" :
La messe y est assidûment suivie le dimanche. La chapelle de la mission anglicane est également en bon état; elle fut très fréquentée lors du passage del'évêque Holmes et les Indiens parurent porter grand intérêt à tous les offices religieux. Note de bas de page 118
Les commissaires étaient moins optimistes quand ils abordaient d'autres questions. Samuel Stewart observa qu'à Missanabie "les Indiens n'avaient aucune difficulté à se procurer des boissons alcooliques. L'une de leurs boissons préférées s'appelle 'John Bull Bitters'; elle a la réputation de guérir presque toutes les maladies connues." Les Indiens de Missanabie eurent droit à un discours sur la sobriété. Note de bas de page 119 En juillet 1905, les commissaires, en route pour Osnaburgh, passèrent par le poste du lac Seul, où on célébrait la "fête du chien". Comme cette fête était illégale, les commissaires convoquèrent le chef. Celui-ci leur dit que la majorité des membres de sa bande refusaient de l'autoriser à mettre fin à la fête. Quant au conjurateur Neotanaqueb, dont "on disait qu'il était fort habile à chasser les mauvais esprits habitant les malades", il se montra tout à fait impénitent; les commissaires, cependant, ne purent faire autrement qu'être étonnés "de le voir répondre avec autant de sagesse à certaines questions et de voir comment il évitait de répondre à d'autres questions." L'expédition continua son chemin après "avoir chapitré les Indiens au sujet de leur conduite déraisonnable"et après les avoir prévenus qu'on surveillerait de près leurs actions, à l'avenir. Note de bas de page 120
Osnaburgh fut la première communauté où s'arrêta officiellement l'expédition. Étant donné que les Indiens de cette communauté vivaient à proximité des Indiens de la réserve du lac Seul, visée par le Traité no 3, les commissaires craignaient que ce soit eux qui "soulèvent le plus d'objections" devant le fait que les conditions fixées dans le projet de Traité de la baie James étaient moins favorables que celles du Traité no. 3. Voilà pourquoi ils demandèrent aux Indiens de désigner des "représentants" à qui le traité pourrait être expliqué et pourquoi ils invitèrent ces représentants à leur poser toutes les questions qu'ils désiraient.
Missabay, le chef reconnu de la bande, prit alors la parole pour faire observer que ses compagnons, en consentant à signer le traité, seraient dépouillés de leurs droits de pêche et de chasse et obligés de demeurer sur la réserve qui leur serait assignée.
Après avoir appris que rien ne serait changé à ce sujet-là dans leur manière de vivre, il consulta un moment ses amis et demanda jusqu'au lendemain pour formuler une réponse.
On acquiesça sans tarder à leur demande. Le lendemain matin, la réunion reprit. Le chef déclara que les Indiens acceptaient de signer le traité "parce confiants qu'ils n'en retireraient que des avantages, et que l'argent qu'ils recevraient leur serait très utile." Note de bas de page 121 Le chef et les autres principaux membres de la bande signèrent le traité en bonne et due forme et les commissaires versèrent une rente de 8,00 $ à près de 350 personnes, au nombre desquelles il y avait, ce qui étonna quelque peu Samuel Stewart, un Indien, "ses trois épouses et ses dix-sept enfants." Note de bas de page 122 Juste avant le début de la fête officielle qui suivit et au cours de laquelle on servit du pain plat et rond cuit sans levain, du bacon, du porc et du thé, et après laquelle on fumât de nombreuses pipes et consommant beaucoup de tabac, le chef Missabay, âgé et aveugle, prononça un éloquent discours dans lequel il louangea le gouvernement pour sa façon de traiter la population indienne et "conseilla aux jeunes Indiens de bien écouter la voix des Blancs, de suivre leurs conseils et de ne pas ambitionner de faire triompher leurs propres sentiments à l'encontre de ceux qui avaient parcouru le monde et leur procuraient de si grands avantages." Note de bas de page 123 On avait dit aux Indiens d'Osnaburgh qu'ils pourraient élire un chef et deux conseillers. On voulut que Missabay présenta sa candidature au poste de chef; il refusa parce qu'il croyait que son affliction allait l'empêcher de remplir ses fonctions. Son fils l'ayant pressé de changer d'idée parce que "sa sagesse lui serait d'un grand secours pour diriger les affaires de sa bande", Missabay revint sur sa décision. Après l'élection des deux conseillers, on présenta à Missabay un drapeau Union Jack de douze pieds, "au grand plaisir de tous les Indiens." Note de bas de page 124 Le matin du 13 juillet, après que les Indiens d'Osnaburgh eurent décrit le territoire qu'ils voulaient comme réserve, l'expédition se mit en route pour Fort Hope, poste situé sur le lac Eabemet, 200 kilomètres plus loin sur la rivière Albany.
À Fort Hope, comme, en fait, à tous les endroits où ils s'arrêtaient, les commissaires utilisèrent les mêmes procédures qu'à Osnaburgh. On expliqua le traité au représentant des Indiens, on signa ensuite le traité et on versa la rente prévue aux Indiens. Il y eut une fête et élection du chef et des conseillers, puis on offrit un drapeau au chef. La dernière activité fut le choix du territoire de la réserve. Note de bas de page 125 Les Indiens de Fort Hope demandèrent plus d'explication que ceux d'Osnaburgh, ce qui donna raison au négociant Jabez Williams, qui avait affirmé, on l'a vu plus tôt, que la population de Fort Hope était moins pressée que les groupes avoisinants de conclure un traité. Il fallut beaucoup de temps aux commissaires pour la convaincre qu'il n'y avait pas anguille sous roche, même si, comme l'avait dit l'un de ses principaux représentants, Moonias, "ils ne donnaient pas beaucoup en comparaison avec ce qu'ils allaient recevoir, et que lui n'avait jamais rien reçu pour rien." Le père, F.X. Fafard, qui appartenait à la mission catholique d'Albany et qui parlait couramment la langue des Cris et celle des Ojibways, aida grandement les commissaires en expliquant aux Indiens les raisons pour lesquelles le gouvernement "leur demandait de céder leurs droits sur les terres qu'ils n'utilisent pas." Note de bas de page 126 Un Indien, Yesno (appéle ainsi parce qu'il ne connaissait que deux mots anglais: "yes"et "no"), fit à ses compagnons "un discours échevelé, les mettant sous l'impression qu'ils allaient recevoir des bestiaux, des instruments aratoires, des grains de semences et des outils" :
Selon toute apparence, Yesno avait voyagé et s'était fait une idée inexacte de ce qu'avait fait le gouvernement pour les Indiens d'autres régions. Il est évident qu'il avait acquis ces idées au cours de ses voyages. Comme le soussigné toutefois ne voulait créer aucun malentendu ni faire de promesses que le traité ne comporterait point, s'empressa de faire contredire les présents déclarations, expliquant aux Indiens que le gouvernement ne songeait pas à leur accorder de telles faveurs parce qu'il n'y avait pas lieu pour eux de compter sur l'agriculture puisque la chasse et la pêche suffiraient pendant de longues années à subvenir à tous leurs besoins. Il leur fut également expliqué que, par la signature du traité, ils s'engageaient simplement à laisser aux blancs la liberté absolue d'arpenter et d'examiner le pays, d'y faire la chasse, etc., à respecter en tout les lois de la terre et qu'en retour il leur serait accordé certaines réserves de terrain dont ils seraient les maîtres absolus. Note de bas de page 127
L'expédition atteignit Marten's Falls, "poste plutôt peu important de la CBH", le 25 juillet. Là aussi les Indiens écoutèrent d'un air méfiant ceux qui leur expliquèrent les raisons de l'action du gouvernement; "il leur semblait qu'on leur offrait de leur donner quelque chose et qu'on n'attendait pas d'eux qu'ils donnent quelque chose en retour." Les commissaires réussirent encore une fois à faire taire leurs craintes "et c'est avec gratitude que les Indiens acceptèrent l'argent qu'on leur tendit." Pendant la fête qui suivit et au cours de laquelle un drapeau fut présenté aux Indiens, le nouveau chef, William Whitehead, prononça "un discours plein de bon sens; il remercia le roi et le gouvernement des avantages accordés à son peuple." Note de bas de page 128
Les discussions qu'eurent les commissaires avec les autres Indiens qu'ils rencontrèrent plus tard cet été-là et l'été suivant ressemblèrent à celles qu'ils eurent avec les trois groupes dont nous venons de parler. Plus l'expédition avançait, cependant, plus le message (le paternalisme gouvernemental) qu'on essayait de transmettre aux Indiens, selon Duncan Campbell Scott, semblait être reçu chaleureusement. Le 6 août, à Fort Albany, on présenta aux commissaires une communication préparée dans la langue des Cris, dans laquelle on se disait heureux de conclure un traité avec le Roi :
C'est du plus profond de nos coeurs, ô grand chef, que nous te remercions, d'avoir eu pitié de nous et de nous avoir secourus. Nous sommes très pauvres et très faibles. C'est le grand chef qui nous a jusqu'ici soutenus par votre entremise... Note de bas de page 129
Trois jours plus tard, à Moose Factory, le porte-parole des Indiens déclara que ceux-ci espéraient tous depuis longtemps la signature d'un traité avec le gouvernement et remerciaient ce dernier de leur promettre que la loi et l'ordre seraient respectés chez-eux et de leur offrir des écoles et de l'argent, et d'aider grandement, de cette façon, les pauvres et les nécessiteux. Note de bas de page 130 Le 21 août, les habitants de New Post, dans la région de la rivière Albany, après avoir fait savoir aux commissaires que ce qu'ils craignaient surtout c'était que le traité modifie leurs droits de chasse et de pêche, et après qu'on leur "eut donné l'assurance qu'ils ne perdraient pas ces droits", se montrèrent très heureux et désireux de signer le traité proposé." Note de bas de page 131
L'été suivant, l'expédition fut accablée de témoignages de gratitude identiques.Le 19 juin 1906, l'expédition, à son arrivée au poste de Matachewan, sur la rivière Montréal, "fut accueillie par M. Lafrican, employé de la CBH, qui leur souhaita la bienvenue, et par les Indiens et Indiennes, jeunes et vieux, qui formaient deux rangées entre lesquelles elle devait passer; les membres de l'expédition devaient donner la main à tous les Indiens." Note de bas de page 132 Après les explications et les questions habituelles, le porte-parole des Indiens, Michel Baptiste, déclara que les conditions fixées dans le traité étaient très satisfaisantes. Note de bas de page 133 D'après le rapport des commissaires, il semble que la période de discussions devenait de plus en plus inutile. Le 7 juillet, au poste de Mattawagamingue (Mattagami), les Indiens, à qui on venait de donner l'occasion de poser des questions, "conversèrent entre eux pendant quelques minutes" et déclarèrent qu'ils "étaient pleinement satisfaits." Note de bas de page 134 À la fin de juillet, à New Brunswick House, on demanda aux Indiens "s'ils avaient des questions à poser ou des commentaires à faire"; ils répondirent, par l'entremise d'un agent de la CBH, J.G. Christie, "qu'ils étaient parfaitement satisfaits de ce qu'on leur offrait dans le traité et qu'ils voulaient signer ce traité tout de suite." Note de bas de page 135 Les Indiens des deux dernières communautés dont il vient d'être question, étaient, bien sûr, parmi ceux à qui E.B. Borron, magistrat ontarien, avait promis de faire valoir leurs revendications, à l 'été 1886; aussi n'était-il pas surprenant que ces Indiens et que les autres groupes se trouvant près de la hauteur des terres se montrent plus reconnaissants de la visite des commissaires que leurs frères de la rivière Albany. En fait, parmi les questions auxquelles on n'a pas encore trouvé de réponses, il y a celle-ci : pourquoi les représentants gouvernementaux choisirent-ils de rencontrer d'abord les Indiens vivant dans la partie la plus éloignée du nouveau lieu de peuplement. Ce n'est que lorsqu'ils approchèrent du lac Abitibi, à la fin de leur mission de 1905, que les commissaires commencèrent à voir des preuves de civilisation et des activités de construction du chemin de fer et d'arpentage qui avaient rendu nécessaire la conclusion d'un traité. Note de bas de page 136
En se basant uniquement sur les journaux et le rapport des commissaires, il serait difficile de prétendre que le traité n'a pas fait l'objet de négociations. Les Indiens n'ont pas toujours interrogé les commissaires, discuté avec eux, mais toujours l'occasion de le faire leur a été offerte. Les commissaires eux-mêmes, de retour à Ottawa, à la fin d'août 1906, avaient une idée très nette des résultats de leur travail. Ils déclarèrent avoir obtenu la cession de la partie de l'Ontario décrite dans le traité (environ 90 000 milles carrés) et d'une partie des Territoires du Nord-Ouest (environ 40 000 milles carrés); c'est avec plaisir qu'ils firent savoir que "les Indiens de partout avaient un désir évident de prouver leur loyauté et leur gratitude au gouvernement en nous faisant bon accueil." Note de bas de page 137 Mais est-ce bien ainsi que les Indiens percevaient ce qu'ils avaient fait? Nonobstant la conclusion pessimiste de Duncan Campbell Scott, selon qui les motifs des deux parties au traité étaient "pareillement inconnaissables", la négociation du traité fut un important exercice de communication entre deux cultures. Il est évident qu'un message quelconque a dû être transmis aux Indiens pour que la réaction de ces derniers soit aussi favorable.
On peut expliquer la réaction des Indiens par le fait qu'ils n'avaient pas le sens de la propriété terrienne et qu'ils pensaient qu'ils ne faisaient que céder leurs titres, comme le père Fafard l'avait expliqué aux habitants de Fort Hope, sur une vaste étendue de terre "inutile pour eux". Note de bas de page 138 Mais le problème n'est pas aussi simple. Dans son sens le plus fondamental, la propriété porte sur des droits, pas sur des choses; les Indiens semblent avoir perçu la négociation du traité comme une discussion visant à déterminer quelle partie aurait des droits sur telle ou telle chose. Note de bas de page 139 À Fort Hope, on a dit aux Indiens, sceptiques, qu'en signant le traité, ils acceptaient d ne pas entraver les activités des Blancs qui venaient dans leurs régions pour diverses raisons. Il ne semble pas qu'on leur ait dit qu'en plus ils cédaient tous leurs droits sur leurs terres ancestrales, excepté celles sur lesquelles seraient établies un certain nombre de petites "réserves"; que, dès lors, ils n'auraient plus rien à dire au sujet de la gestion et de la mise en valeur de ces terres; qu'ils leur serait interdit de chasser, pêcher et trapper sur les étendues de terres occupées par des Blancs; ou que leurs activités de chasse, de pêche et de trappage pourraient être réglementées par le gouvernement selon son bon vouloir. On peut pourtant lire dans le traité que les Indiens, en signant ledit traité avaient cédé "tous leurs droits, titres et privilèges"sur les terres visées. Pour ce qui est de la chasse et de la pêche, le traité stipule ceci:
En retour, Sa Majesté convient que lesdits Indiens conservent leur droit de chasse et de pêche dans toute l'étendue du territoire cédé - sujet toutefois aux règlements que le gouvernement pourra juger à-propos de faire avec l'autorisation de Sa Majesté, à l'exception cependant des portions de terre qui pourraient être employées pour la colonisation, l'industrie minière et forestière, le commerce, etc. Note de bas de page 140
À Osnaburgh, le chef aveugle, Missabay, avait exprimé la crainte des Indiens d'être obligés, s'ils signaient le traité, de vivre dans les réserves créées pour eux et de perdre leurs droits de chasse et de pêche. Les commissaires dirent que cette crainte n'était pas fondée "étant donné que leurs façons d'assurer leur subsistance ne seraient nullement modifiées." Il n'est donc pas étonnant que les bandes établies le long de la rivière Albany aient eu l'impression qu'on leur offrait quelque chose sans rien leur demander en retour. Comme on le voit dans les notes des commissaires sur leurs voyages, on répondait toujours aux Indiens que leurs droits de chasse et de pêche "ne leur seraient pas retirés" (extrait d'un texte prononcé à New Post). Même dans les communautés qui acceptèrent d'emblée le traité, la question des droits de chasse et de pêche vint sur le tapis. Près de 70 ans après la signature du traité, Robert Laurence, qui remplissait alors les fonctions d'un apprenti commis du poste de Mattagami, se rappelait que les commissaires avaient dit aux Indiens qu'ils pourraient continuer de chasser, "tout comme avant", sur les terres qu'ils céderaient. Laurence ajoute énergiquement ceci : s'il y avait une clause du traité qui allait à l'entontre de cette affirmation, les Indiens ne la comprenait pas, j'en suis certain; ils ne comprenaient d'ailleurs pas la moitié des choses qui se passaient." Note de bas de page 141 Dans une entrevue qu'il accorda en 1972, James Wesley, qui était un jeune garçon lorsqu'il assista aux cérémonies officielles qui marquèrent, à Fort Albany, la signature du traité, est aussi catégorique que Laurence; selon lui, le gouvernement a dit aux Indiens qu'ils n'avaient rien à craindre "parce qu'aucune loi concernant le trappage, la chasse et la pêche ne sera passée si vous acceptez le traité." Note de bas de page 142
À la décharge es commissaires, on pourrait dire que ce n'était pas leur faute si les Indiens ne comprenaient pas qu'il y avait une incompatibilité fondamentale entre l'utilisation des terres par les Blancs et l'utilisation qu'eux faisaient de ces terres; des malentendus semblables avaient toujours marqué le processus de cession des terres. Un événement aussi vieux que le suivant le prouve : en 1805, les Indiens mississaugas de la rivière Credit, qui avaient cédé au gouvernement, au cours des vingt-cinq années précédentes, de vastes étendues de terres situées le long du lac Ontario, se plaignirent amèrement au lieutenant-gouverneur du Haut-Canada du fait que les agriculteurs blancs lâchaient leurs chiens sur eux quand ils voulaient traverser leurs champs pour chasser. Note de bas de page 143 Mais contrairement à ce qui s'est passé lors de cette cession de terres et des négociations relatives à la plupart des traités numérotés précédents, le gouvernement ne cherchait pas, en négociant le Traité no. 9, à préparer la voie à la création d'un peuplement agricole; le gouvernement ne s'attendait pas non plus à ce que les Indiens se fixent dans un lieu et se lancent dans l'agriculture à l'intérieur de leurs réserves. À Fort Hope, les commissaires avaient dit que "la bande ne pouvait compter sur l'agriculture pour assurer sa subsistance"; que la chasse et la pêche, "activités que ses membres pourraient exercer sans entrave", constitueraient pour elle, pendant encore de très nombreuses années, de bonnes sources de revenues." Note de bas de page 144 Pourquoi les commissaires firent-ils une telle affirmation? Ils devaient savoir que les services gouvernementaux représentés par l'envoyé ontarien, Daniel McMartin, allaient non seulement autoriser les Blancs à exploiter la forêt et les minéraux des terres cédées, mais exercer aussi un contrôle sur la chasse, la pêche et l'exploitation des animaux à fourrure que les Indiens croyaient avoir été réservés à leur seul usage. L'été même où les commissaires se rendirent à la baie James par la rivière Albany, des policiers et des gardes-chasse provinciaux faisaient des descentes dans les postes de commerce de la fourrure situés le long du chemin de fer du Canadien Pacifique et saisissaient les peaux de castors et de loutres pris à la trappe en violation des règlements ontariens. Note de bas de page 145 En s'en tenant uniquement aux "simples faits" de leur mission, selon l'expression de Duncan Campbell Scott, les commissaires induisaient gravement en erreur les Indiens au sujet de la nature exacte de l'entente qu'on leur proposait.
Mais si on avait expliqué plus honnêtement les clauses du traité, les résultats des négociations auraient-ils été différents? Faire de l'histoire en posant de telles questions n'est pas une bonne méthode; cela dit, il semble permis de penser que la majorité des bandes de la rivière Albany auraient refuser de signer le traité si on le leur avait expliqué avec plus d'honnêteté. Quant aux bandes de la baie James et à celles se trouvant le plus près de la voie de chemin de fer, elles auraient peut-être accepté quand même de signer le traité parce qu'elles auraient eu l'impression de ne pas avoir le choix et parce que, comme nous l'avons déjà dit, les commissaires réussissaient très bien à faire valoir les avantages tangibles que recevraient les Indiens qui seraient visés par le traité.
L'avantage le plus évident était le don d'argent. Ce don, qui s'élevait à 40,00 $ pour une famille moyenne, était important. Cet argent avait aussi la particularité de ne pas provenir du commerce des fourrures. Ce fait revêtait une importance particulière dans les régions les plus éloignées du nord de l'Ontario, où la Compagnie de la baie d'Hudson (CBH) avait plus ou moins de concurrents. La CBH cherchait à garder son système bicentaire : troquer des biens contre des fourrures, qui lui était très profitable. Note de bas de page 146 À cause du traité, on dut modifier ce système rapidement, ce qui ne tourna pas tout à fait au désavantage de la CBH. À Fort Albany, par exemple, le négociant, après avoir parlé dans son journal des faits saillants de la réunion du 3 août 1905 consacrée à la négociation du traité et après avoir souligné la remise d'un don de 8,00 $ aux Indiens, nota que "de nombreuses ventes au comptant ont été faites au magasin"et que "des biens d'une valeur de 1 072,00 $ ont été vendus." Note de bas de page 147 La CBH semble avoir été encore plus préoccupée par les effets qu'auraient pu avoir les dons d'argent sur les relations paternalistes qu'elle entretenait avec un bon nombre d'Indiens Cris et Ojibways du nord. Les négociants de la CBH avaient l'habitude, en effet, de donner des biens aux Indiens très éprouvés, pour des raisons humanitaires et, surtout, parce qu'il n'était pas bon pour eux, économiquement parlant, que la misère empêche des Indiens de trapper; ils s'attendaient d'ailleurs à ce que les Indiens remettent les avances aussitôt que possible. Ce qu'ils ne voulaient pas, c'était un système qui aurait permis aux Indiens d'obtenir les biens nécessaires à leur existence sans avoir à continuer à fournir des fourrures sur une base régulière. Pendant les terribles hivers de la période 1899-1901, la CBH demanda au gouvernement la permission de distribuer de la farine, aux frais de l'État, aux Métis et aux personnes non visées par un traité, qui, dans une bonne partie du nord de l'Ontario, étaient dans le besoin. Le gouvernement accepta la demande. La CBH avisa soigneusement ses négociateurs de ne pas dire d'où venait la farine "parce que si jamais les Indiens ont la moindre indication qu'ils peuvent obtenir gratuitement de la farine à vos postes, ils ne chercheront pas à s'aider eux-mêmes." Note de bas de page 148 Ce n'est pas que les Indiens étaient d'une "paresse"inhérente (ce dont les accusaient volontiers les négociants), c'est qu'ils ne considéraient pas être des employés des commerçants de fourrure. Leur but, comme l'a dit l'un des négociants les plus perspicaces de la CBH, "n'était pas de nous enrichir, mais de mener une existence confortable." Note de bas de page 149
Il n'y a donc pas lieu de douter de la véracité des nombreuses déclarations des commissaires concernant les remerciements chaleureux des Indiens recevant de l'argent du gouvernement. La majorité des Indiens semble d'ailleurs avoir perçu le traité comme une occasion de s'assurer une vie plus facile. Le 9 août 1906, au poste du lac Long, le chef Newatchkigigawabe remercia le gouvernement de ce qu'il avait fait pour son peuple, en particulier de lui avoir accordé des rentes annuelles, et exprima "l'espoir que le gouvernement les aiderait à soutenir leurs pauvres et leurs malades attendu que, même dans les meilleures années, ils ne pouvaient gagner plus que leur propre subsistance." Les commissaires, il est vrai, essayaient de mettre leurs interlocuteurs en garde contre de telles attentes' ils leurs dirent que "le gouvernement s'était toujours montré disposé à venir à l'aide des nécessiteux, mais qu'il recommandait aux Indiens de compter autant que possible sur eux-mêmes." Note de bas de page 150 En agissant ainsi, les commissaires observaient la règle suivante qu'ils s'étaient imposée et qu'ils rappelèrent plusieurs fois dans leur rapport : éviter de faire aux Indiens des "promesses quelconques", semblables à celles qui avaient gravement entaché plusieurs des traités antérieurs." Note de bas de page 151 Les Indiens n'ont point lieu, selon que nous le croyons, de compter sur aucune autre concession en dehors de celles consignées dans les documents." Note de bas de page 152 Mail il n'y a pas que la communication verbale . . . la façon, par exemple, dont les commissaires se présentèrent aux Indiens eut beaucoup de conséquences imprévues. En 1974, Robert Laurence fit preuve d'un peu de cynisme quant il parla de cet aspect des cérémonies qui entouraient la négociation du traité à Mattagami :
Cela a certainement été, à mon sens, un contrat unilatéral. Ces pauvres Indiens. . . les commissaires sont arrivés avec leurs gros canots, avec leurs drapeaux au vent, suivis de la police montée, et j'en passe. Ils ont fait beaucoup de bruit autour de grand chef blanc et de tout ce qui serait fait pour veiller sur les Indiens, pour les protéger. Tout ça, c'était de la blague si vous voulez savoir ce qu j'en pense. Note de bas de page 153
Après la signature du traité, le gouvernement écouta, pendant des années, des plaintes concernant l'inobservance de l'entente. Les Indiens pensaient des biens seraient données aux nécessiteux; Note de bas de page 154 ils pensaient qu'un salaire allait être versé aux chefs et aux conseillers; Note de bas de page 155 ils croyaient qu'une fête aurait lieu chaque année pour marquer la remise des rentes annuelles; Note de bas de page 156 ils demandaient avec insistance qu'"un médecin leur soit envoyé et puisse être consulté une fois par année." Note de bas de page 157 Cette dernière attente est typique. Il n'est dit nulle part dans le rapport officiel des commissaires que des services médicaux seraient fournis aux Indiens; le traité lui-même n'en parle pas non plus. Mais il est vrai aussi que les commissaires se firent accompagner, pendant tout leur périple dans le nord, par un médecin, le docteur A.G. Meindl, qui fit des examens et des inoculations, qui arrachant des dents, qui donnant des médicaments. Note de bas de page 158 Est-il surprenant que les Cris et les Ojibways du nord aient cru que le traité allait prévoir la fourniture de services médicaux? Le dernier mot sur la perception qu'eurent les Indiens - du moins, ceux d'une bande - du Traité de la baie James, nous le laisserons à James Wesley, un Indien cri qui s'est penché sur l'histoire de la réserve de Fort Albany :
3 août 1905. Duncan Campbell Scott arrive par la rivière Albany. On avait informé les Indiens un jour plus tôt qu'une réunion allait avoir lieu. Scott dit : "Je suis venu vous demander, au nom du gouvernement britannique, si la proposition que vous fait ce gouvernement de lui donner vos terres pour qu'il s'en occupe vous intéresse. Si vous êtes en faveur de cette idée, donnez-nous vos terres. Nous vous donnerons 8,00 $, chaque année, quand vous nous aurez donné vos terres. Nous donnerons aussi 8, 00 $ aux enfants que vous aurez. Chaque année, vous recevrez la visite d'un médecin; il vous donnera des médicaments; vous n'aurez rien à payer. Ne craignez rien, aucune loi, aucun règlement concernant le trappage, la chasse et la pêche ne sera passé si vous acceptez le traité. Si vous tombez malade ou si vous avez besoin d'aide, le gouvernement vous portera secours; tous les Indiens d'Albany, d'Attawapiskat, de Winisk, de Fort Severn pourront recevoir de l'aide. J'ai fini. Je vous donne une heur pour penser à la proposition du gouvernement. Si vous refusez le traité, le gouvernement fera de vous ce qu'il voudra. Tous les Indiens que nous avons rencontrés jusqu'ici ont signé le traité; si vous ne le faites pas, vous vous mettrez dans une situation difficile..." Note de bas de page 159
La période des adhésions (1907-1930)
Ce serait induire le lecteur en erreur que de dire que les Indiens ne firent que formuler des plaintes concernant l'inobservance de dispositions du traité. Pendant les premières années qui suivirent la signature de l'entente, ils remercièrent souvent le gouvernement des avantages dont ils bénéficiaient; ils demandèrent qu'on construise rapidement les écoles promises et que des agents de police et des juges soient nommés pour veiller à l'application de la loi chez-eux. Note de bas de page 160 Ils protestèrent contre la diminution de la valeur de leur rente annuelle - due au fait que la Compagnie de la baie d'Hudson haussait le prix de ses marchandises des postes situés à l'intérieur des terres; cette diminution n'était évidement pas imputable au gouvernement. Note de bas de page 161 Ils demandèrent aussi au gouvernement de leur fournir des filets de pêche et des outils, ainsi que (les missionnaires avaient indubitablement influencé les Indiens) des graines de semence et des instruments aratoires, même si la région où ils vivaient, comme le leur avait signalé les commissaires eux-mêmes, n'était pas très propice à l'agriculture. Note de bas de page 162
La dernière demande susmentionnée nous amène à nous poser l'intéressante question suivante : qu'allaient faire au juste les Indiens des réserves créées pour eux? Il semble que les commissaires pensaient que les bandes choisiraient des étendues de terres situées près des postes commerciaux et des missions, où, dans un certain avenir, ils se fixeraient. Plusieurs bandes, à Fort Hope, Fort Albany et New Brunswick House, per exemple, choisirent effectivement des terres se trouvant dans la région immédiate de l'un ou l'autre des postes que les commissaires visitèrent. D'autres bandes, cependant, semblent avoir pris au pied de la lettre c qu'avaient dit les commissaires au sujet du rôle de refuge que devaient jouer les réserves pour protéger les Indiens de l'action des Blancs; ce fut le cas des Indiens de Moose Factory qui choisirent une étendue de terre située en amont de la rivière, à une distance considérable de leur point de rassemblement habituel (sur le littoral de la baie James). Autre exemple : selon Art McLeod, fils de celui qui était, à l'époque, négociant à Flying Post, le chef Albert BlackIce choisit comme réserve son propre terrain de chasse, près du lac Bromley. Note de bas de page 163 Quand les priorités changeaient ou quant on commençait à découvrir les vrais possibilités de sa réserve, la bande (c'est arrivé dans de nombreux cas) demandait l'autorisation de faire un autre choix. En 1908, par exemple, la bande d'Osnaburgh demande d'être autoriséeà utiliser de nouvelles terres au sud-ouest de lac St-Joseph parce que la réserve qu'elle avait choisie ne valait rien pour qui voulait exploiter des ressources aéricoles, minières ou forestières. Note de bas de page 164 En 1907, la bande de Martens Falls, établie plus en aval de la rivière Albany, avait fait une demande identique. Note de bas de page 165
Dans leur rapport officiel, les commissaires ne disent presque rien au sujet de la façon dont les réserves ont été choisies; on peut supposer que, en raison du droit qu'avait l'Ontario de refuser le choix des Indiens, les commissaires ne se mirent pas en quatre pour aider les Indiens à prendre leurs décisions. Robert Laurence mentionne que la réserve que voulait la bande de Mattagami se trouvait à l'est du poste et était un bon terrain de chasse aux chevreuils et que James Miller, le directeur local de la CBH, les persuada qu'ils feraient mieux de choisir Kenogamissi Falls, en aval de la rivière, en raison de ses possibilités énergétiques. Comme les commissaires "refusèrent ce choix", selon Laurence, Miller "leur obtint l'endroit par excellence, où ils finirent par se retrouver" parce qu'"il savait qu'il contenait du pin intéressant à exploiter." Note de bas de page 166 Ce choix s'avéra particulièrement ironique parce que dans le décret du Conseil du 13 février 1907 par lequel il était accepté, le gouvernement de l'Ontario se réserva le droit d'exploiter seul pendant dix ans les pins rouges, les pins blancs et les pins gris de la réserve. Note de bas de page 167 En 1921, l'Ontario permis à une entreprise de construire un barrage en vue de l'utilisation des chutes Kenogamissi pour produire de l'électricité destinée à une ville minière, Timmins; ces travaux entraînèrent l'inondation d'une partie de la réserve des Indiens de Mattagami. Note de bas de page 168 La province ne manquait surtout pas de suite. En 1919, elle refusa d'accepter le choix de la réserve Matachewan, située à environ 100 kilomètres à l'est de Mattagami, parce que la compagnie J. R. Booth détenait depuis 1906 un permis lui permettant d'utiliser le bois de cette étendue de terre pour faire de la pâte. Note de bas de page 169 Et aux bandes qui voulaient modifier le choix de leur réserve, la province répondait simplement non. En 1913, quand les Indiens de Moose Factory firent une demande de modification parce qu'ils estimaient avoir choisi trop rapidement leur réserve ( qui n'était ni propice à l'agriculture ni à l'exploitation de la forêt), le gouvernement ontarien déclara qu'il ne voyait pas quelle raison pourraient invoquer les Indiens pour modifier les limites d'une réserve fixée par les commissaires. La même réponse fut donnée à la bande de Moose en 1920. Note de bas de page 170
Dans certains cas, c'est la structure même des bandes créées par le traité qui incita les Indiens à vouloir modifier le choix de leur réserve. Les Indiens de Biscoasting non visés par un traité (la majorité appartenaient à la bande de Louis Espagnol) furent rattachés par les commissaires responsables de la négociation du Traité no. 9 aux bandes des postes de Mattagami et de Flying Post. En 1914, ils s'adressèrent au Ministère pour que soit formée, de préférence à Biscoasting, une réserve dont eux et leurs parents visés par le Traité Robinson seraient les membres; on refusa d'acquiescer à leur demande parce qu'ils devaient "demeurer à l'intérieur de la réserve...créée pour eux." Note de bas de page 171 À vrai dire, la plupart des bandes formées par le Traité no. 9 étaient des assemblages de bandes traditionnelles étroitement liées, que les commissaires avaient réunies, pour plus de commodité, sous le nom de tel ou tel poste de commerce de la CBH. Dans le cas des bandes de la rivière Albany, les bonnes intentions du gouvernement donnèrent naissance à une situation inattendue.
Le 3 juillet 1905, un décret du Conseil, on s'en souviendra, avait obligé les commissaires chargés de la négociation du Traité no. 9 à demander uniquement la cession de terres situées en Ontario. Note de bas de page 172 L'année précédente, le ministère des Affaires indiennes avait déclaré à C.C. Chipman, employé de la CBH, qu'aucune personne vivant au-delà de la rivière Albany, dans les Territoires du Nord-Ouest, ne serait visée par le traité, même si cette décision pouvait sembler arbitraire aux Indiens concernés. Note de bas de page 173 Il semble toutefois que la CBH ait convaincu le gouvernement fédéral, à la dernière minute, de réexaminer la question puisqu'un autre décret du Conseil daté du 6 juillet 1905 (les commissaires avaient déjà entrepris leur périple), donna le pouvoir auxdits commissaires de créer des réserves dans "la partie des Territoires du Nord-Ouest située entre la rivière Albany, le district de Keewatin et la baie d'Hudson", ainsi que d'assujettir au traité les Indiens vivant dans cette région. Note de bas de page 174 C'était là une bonne décision : elle allait empêcher que ne se produisent des malentendus semblables à ceux qui s'étaient produits lors de la négociation des traités Robinson, à laquelle n'avait pu participer des bandes parce qu'elles se trouvaient du mauvais côté de la hauteur des terres. Cette décision, selon les commissaires, "allait aussi permettre que se superpose à la communauté d'intérêts qui s'était formée chez les Indiens autour du commerce desfourrures, le sens de la nécessité de s'acquitter des obligations qu'allait faire naître le traité." Note de bas de page 175 Mais cette "communauté d'intérêts"n'était pas aussi importante qu'on le croyait, elle ne touchait pas un grand nombre de personnes Beaucoup de familles vivant dans les régions les plus éloignées de l'intérieur ne visitaient les postes de la rivière Albany qu'une ou deux fois par année; de plus, ces familles appartenaient indubitablement des bandes traditionnelles dont les lieux de rassemblement étaient autres. Un exemple parmi d'autres : la bande créée à Fort Albany en vertu du traité renfermait des Indiens dont les terrains de chasse se trouvaient au nord de la rivière Attawapiskat, bien loin de la partie occidentale de la baie James. Et, comme les commissaires le soulignèrent eux-mêmes, le poste de Fort Hope était le lieu de rassemblement d'environ 700 Indiens "qui ont leur pays de chasse le long de la rivière Albany et jusqu'à la source de la rivière Winisk." Note de bas de page 176 Quant ils comprirent ce que le gouvernement voulait qu'on fasse des réserves, ces Indiens vivant dans des régions éloignées entreprirent de le presser de leur donner une bande et une réserve distinctes. C'est ainsi que, dans le cadre des adhésions de 1930 au Traité no. 9, la bande d'Attawapiskat fut reconnue et qu'on forma pour elle une réserve près de la rivière Ekwan, et ce, sans que la bande du Fort Albany visée par le Traité no. 9, dont lesIndiens de la nouvelle réserve faisaient partie, soit obligée de céder une partie de sa réserve. Note de bas de page 177 D'autres groupes ne furent pas aussi chanceux, toutefois. Ce n'est qu'en 1970, par exemple, que la population indienne du lac Cat, visée par le traité en tant que partie de la bande d'Osnaburgh, obtint d'être considérée comme un groupe distinct. Note de bas de page 178 Autre exemple : les groupes indiens de Webequie (à la source de la rivière Winisk), deLansdowne et de Summer Beaver, tous intégrés à la bande du traité de Fort Hope cherchaient encore, soixante ans après la signature du traité, à être considérés comme des groupes distincts. Note de bas de page 179 D'une certaine façon, il ne fut pas heureux, pour ces Indiens, que le gouvernement change d'idée en juillet 1905. S'ils avaient attendu jusqu'aux adhésions pour devenir parties au traité, ils auraient obtenu le statut de groupe distinct.
Les Indiens des Territoires du Nord-Ouest dont nous venons de parler eurent au moins la possibilité d'adhérer à un traité; ce ne fut pas le cas, à une exception près, des Ojibways et des Cris du Québec avec qui ils avaient des liens très étroits. Quand les commissaires arrivèrent au poste d'Abitibi en 1906, ils savaient que leur tâche ne serait pas exempte de difficultés parce que ledit poste était situé "au Québec, à quelques milles de l'Ontario et (que) la majorité des Indiens qui vont y faire du commerce appartiennent au Québec." Les représentants gouvernementaux furent obligés de dire aux habitants d'Abitibi qu'ils ne pourraient conclure un traité qu'avec les Indiens dont les terrains de chasse se trouvaient en Ontario et que si les Indiens du Québec désiraient se choisir une réserve, le Dominion tenterait d'obtenir du gouvernement québécois qu'il en mette une à leur disposition plus tard. Note de bas de page 180 Les commissaires discutèrent ensuite avec le groupe ontarien, qui accepta le traité; après, les bandes de l'Ontario et du Québec se choisirent chacune un chef et des conseillers. On remit au chef de la bande ontarienne un drapeau et un exemplaire du traité; le chef de la bande québécoise reçut un drapeau et une pipe. Note de bas de page 181 Malheureusement, le Québec refusa de créer une réserve et le ministère des Affaires indiennes dut imaginer une solution de compromis. En juin 1908, on envoya Samuel Stewart au poste d'Abitibi, où il déclara aux deux bandes que le Dominion paierait une rente annuelle (identique à la rente prévue dans le Traité no. 9) aux Indiens du Québec si leurs frères ontariens acceptaient de partager leur réserve avec eux. En vertu de l'entente qu'ils saignèrent, les Indiens du Québec adhérèrent au Traité no. 9 et cédèrent à la Couronne tous leurs droits sur le territoire décrit dans le traité, d même que leurs droits sur leurs terres québécoises. Note de bas de page 182
Le gouvernement fédéral devait vouloir que le Québec participe lui aussi, un jour, au processus de passation de traité, puisqu'en 1912 il étendit la frontière du Québec et celle de l'Ontario jusqu'à la baie d'Hudson. La deuxième clause de chacun des statuts prévoyait que les deux provinces reconnaîtraient les droits des Indiens sur les territoires nouvellement acquis, et ce, "dans le même mesure"où le gouvernement du Canada avait lui-même reconnu de tels droits. Note de bas de page 183 Il semble toutefois que les agents du ministère des Affaires indiennes n'aient eu que l'Ontario en tête. Duncan Campbell Scott avait déjà recommandé, en 1908, que, après le règlement de la question de la frontière septentrionale de l'Ontario, "tous les Indiens de l'Ontario soient visés par le Traité no. 9; il pensait que cela se produirait probablement "avant longtemps." Note de bas de page 184 Quand exactement? Les opinions variaient. Deux ans plus tôt, quand les "Cranes"vivant au nord d'Osnaburgh exprimèrent le désir, après le décès de leur chef qui s'était montré opposé à ce projet, d'être visés par le traité, on leur répondit que le gouvernement n'avait pas l'intention, "pour le moment", d'augmenter le nombre des Indiens visés par un traité. Note de bas de page 185 En fait, ce sont principalement les Indiens qui allaient donner son impulsion au mouvement des adhésions, comme ils l'avaient fait pour le traité lui-même. Et les raisons qu'ils allaient invoquer, ce qui n'a rien de surprenant, allaient être celles qu'avait fait valoir le génération précédente.
"Nous aimerions être l'une des parties au traité, comme le sont, à l'ouest, les Indiens de York Factory et, au sud, les Indiens d'Albany, de Fort Hope, d'Osnaburgh et d'Attawapiskat", écrivit James Stoney en juillet 1915, au nom des Indiens établis loin sur le littoral de la baie d'Hudson, à Winisk et à Fort Severn. "On ne nous a jamais demandé si nous voulions être assujettis à un traité. Nous sommes pratiquement entourés d'Indiens qui reçoivent de l'aide du gouvernement et nos terrains de chasse, à cause de notre climat, sont très pauvres et nous serions très heureux de pouvoir être visés par un traité. Le chemin de fer approche de la baie d'Hudson et des Blancs viennent dans notre région; il en résultera que nous serons chassés de nos terres." Note de bas de page 186 En raison de la construction de deux nouveaux chemins de fer transcontinentaux dans le nord de l'Ontario, le ministère des Affaires indiennes fut inondé, comme d'habitude, de plaintes concernant l'arrivée dans cette région de Blancs attirés par le prix élevé des fourrures. Un négociant indépendant établi près du chemin de fer, à l'est du lac Savant, rapporta, à l'automne 1919, une plainte typique formulée par deux Indiens de la bande d'Osnaburgh visés par un traité : "J. Bish, d'Allan Water, est allé dans leur campement; il leur a mis la main au collet et les a menacés de les tabasser et de brûler leur campement s'ils étaient encore là à son retour, dans trois jours. Les deux familles indiennes ont dû quitter un endroit où Whagashick chassait depuis quatre ans et dans lequel Wanabetonge venait à l'occasion depuis deux décennies." Troke ajouta que les victimes de Bish étaient "de bons autochtones respectueux des lois"; il affirma qu'on ne devrait pas laisser Bish les chasser d'un endroit où il voulait faire du trappage lui-même. "Ce Bish s'est vanté d'avoir capturé 150 castors en une saison, il y a deux ans, alors qu'il aurait dû être dans l'armée." Note de bas de page 187 Comme dans les années 1880, les Indiens accusaient les trappeurs blancs d'utiliser du poison pour accélérer la prise des animaux. Note de bas de page 188 Partout dans le nord, les Indiens visés ou non par un traité montraient du mépris pour les policiers et les gardes-chasse provinciaux qui, croyaient-ils, montraient de la partialité pour les Blancs et les empêchaient, eux, de jouir de leurs droits ancestraux. "D'après ce que je sais et ce que j'ai entendu, écrivit en 1917 l'agent responsable des Indiens à Port Arthur, les Indiens craignent et méprisent les policiers et il n'y a qu'une seule chose qu'ils les aideraient à faire gratuitement : creuser leur tombe." Note de bas de page 189 Le gouvernement de l'Ontario appliquait ce qu'il considérait être des principes "scientifiques"de gestion de la faune et de la flore; il veillait à ce que l'on se conforme à ses règlements concernant les saisons de chasse et les espèces animales pouvant être attrapées. Pour les agents du ministère provincial de la Chasse et de la Pêche, les droits conférés aux Indiens en vertu des traités étaient, en mettant les choses au mieux, des privilèges, et, en mettant les choses au pire, des calamités publiques, et on ne devait les respecter que si c'était absolument nécessaire. On devait ne permettre aux Indiens de chasser, en dehors des saisons de chasse, que pour se procurer de la nourriture destinée à satisfaire leurs besoins alimentaires, et leur interdire de le faire pour commercer, et ce, même si depuis deux cents ans, ils échangeaient (ils avaient commencé à le faire avec les marchands de fourrure; ils en vinrent à le faire aussi avec les camps de mineurs, de travailleurs de la forêt et de travailleurs du chemin de fer) des produits alimentaires régionaux contre certains biens nécessaires. Note de bas de page 190
Bien sûr, les Indiens protestèrent. L'agent responsable du versement des rentes annuelles qui descendit la rivière Albany en 1913 fut informé que tous les Indiens visés par le Traité no. 9 "s'inquiétaient" d'entendre dire que le gouvernement interdisait aux négociants d'acheter ou de posséder certaines fourrures. À Osnaburgh, le chef déclara "que son peuple commençait à craindre que le gouvernement ne veuille plus tenir ses engagements envers lui, comme il devrait le faire en vertu de l'accord par lequel les Indiens avaient cédé leurs terres au gouvernement." Empêcher les négociants d'acheter les fourrures des Indiens, ajouta le chef, équivalait à les empêcher" de chasser ou de trapper les animaux à fourrure, un privilège qu'ils devaient garder à jamais, selon ce qu'avait déclaré le gouvernement pendant la négociation du traité." L'agent responsable du versement des rentes annuelles répondit que ce n'était pas le gouvernement qui avait négocié le traité avec eux qui appliquait les règlements contestés, que ces règlements avaient été adoptés dans leur intérêt et qu'ils ne seraient jamais poursuivis en justice s'ils chassaient pendant les périodes de chasse prévues par les règlements. Note de bas de page 191 Le ministère des Affaires indiennes avait cependant une bien piètre opinion des personnes comme Peter Taylor, qui appartenait à la bande de la rivière des Anglais visée par le Traité no. 9 et dont on disait, en 1924, qu'il défiait ouvertement la loi "en déclarant que ni le gouvernement du Dominion ni aucun autre gouvernement ne peut et ne pourra m'empêcher de tuer des castors, des loutres et des originaux quand j'en ai envie." On prévint Taylor qu'il pourrait être poursuivi en justice "parce qu'il donnait le mauvais exemple aux Indiens." Note de bas de page 192 Entre le moment de la signature du traité et la période des adhésions, des agents du ministère des Affaires indiennes, de même que certains négociants dans le nord, pressèrent le gouvernement ontarien de refuser "d'accorder des permis permettant aux Blancs de chasser dans les districts du nord", ou, à tout le moins, de créer des territoires où seuls les Indiens auraient été autorisés à chasser ou à trapper. Note de bas de page 193 Le Québec avait déjà pris une telle mesure; cela n'empêcha pas l'Ontario de la juger inacceptable. Note de bas de page 194 L'Ontario avait même entrepris de créer dans le nord des réserves naturelles dont l'accès serait interdit à tout le monde. Les dispositions de 1925 portant sur la création de la réserve naturelle de Chapleau prévoyaient que celle-ci comprendrait la réserve indienne de la bande de New Brunswick House et que leurs alliés visés par l'un ou l'autre des Traités Robinson n'auraient plus le droit d'utiliser 6 000 milles carrés de leurs terrains de chasse ancestraux. Note de bas de page 195
Mauvaise chasse aux animaux à fourrure, prix élevé des produits alimentaires et règlements provinciaux, voilà trois sujets de plaintes qu'on retrouvent dans toutes les requêtes que présentèrent au ministère des Affaires indiennes, après 1915, les Indiens de Fort Severn, de Winisk et du Grand lac Trout, dans l'extrême nord de l'Ontario. Note de bas de page 196 "Un sac de farine coûte entre 45 et 50 $ (40 cents la livre) et le thé 2,50 $ la livre", écrivit l'un des membres de la bande du Grand lac Trout, en 1927. Note de bas de page 197 "Nous ne recevons aucune aide en tant qu'Indiens visés par un traité; nous ne recevons qu'un tout petit peu d'aide du gouvernement et cette ressource s'épuise vite dans une grande bande comme la nôtre", déclara, en avril 1928, le chef de la bande du Grand lac Trout, Sampson Beardy. "Il y a quatre ans, on nous a imposé les lois sur la chasse et demandé de les observer." Beardy demanda que sa bande soit autorisée à chasser les animaux à fourrure au fusil et que la saison de trappage soit prolongée au-delà du mois de mars parce que "la situation des Indiens s'est détériorée depuis l'imposition des lois sur la chasse et qu'il semble, aujourd'hui, qu'un certain nombre d'entre eux parviendront à peine à assurer leur subsistance pendant l'hiver." Note de bas de page 198 Depuis 1923, l'Ontario et le Dominion discutaient de la question de l'adhésion d'autres Indiens au Traité no. 9, et si la province ne s'était pas dérobée à la dernière minute, une expédition se serait mise en route à l'été 1927. Note de bas de page 199 En 1928, le ministère des Affaires indiennes connaissait la situation des groupes vivant dans la région dont la cession était proposée; il fut officiellement décidé qu'une expédition se mettrait en route à l'été 1929. Note de bas de page 200 Le surintendant-général adjoint, Duncan Campbell Scott, adressa un dernier message à Walter Cain, sous-ministre des Terres et Forêts de l'Ontario et commissaire provincial : "les Indiens du district de Patricia, lui écrivit-il en mai 1929, sont très inquiets de voir disparaître rapidement les animaux à fourrure"; ce phénomène serait dû, selon eux, "à l'envahissement de leurs terrains de chasse par les trappeurs blancs." Sachant que Cain allait recevoir des renseignements de première main, Scott lui dit espérer qu'il suggérerait à son gouvernement "de rendre justice aux Indiens et d'établir des étendues de terre où seuls ces derniers auraient le droit de chasser, ou de modifier les lois sur la chasse de façon à ce que les Indiens puissent continuer à compter sur la chasse pour assurer leur subsistance." Note de bas de page 201
Si l'équipe originale chargée de négocier le Traité no. 3 dans le nord de l'Ontario avait été organisée par le gouvernement fédéral et, fut reçue par la Compagnie de la baie d'Hudson en plus de comprendre un représentant du gouvernement ontarien, les commissaires chargés de négocier les adhésions étaient très soucieux de leurs statuts respectifs. Walter Cain arriva au Grand lac Trout le 3 juillet 1929 à bord d'un aéronef Moth dont le capitaine était Roy Maxwell, membre du service provincial de transport aérien; le commissaire fédéral, H. N. Awrey (un employé du ministère) et le docteur Bell arrivèrent un jour plus tard à bord d'un aéronef des Forces canadiennes. Quand l'Ontario déclara l'année suivante, dans un communiqué de presse, que l'aéronef de leur représentant "avait été l'aéronef-pilote du vol", Awrey démentit immédiatement cette affirmation. Note de bas de page 202 Selon le représentant fédéral, quand les commissaires arrivèrent au lac Trout, "ils furent reçus avec beaucoup d'enthousiasme par les Indiens qui s'étaient rassemblés pour rencontrer les personnes que le Roi leur envoyait pour entendre leurs plaintes et, si possible, pour négocier avec eux un traité qui améliorerait leur sort." "La vue de l'aéronef excita fortement" ces Indiens. Le 5 juillet, les commissaires expliquèrent ce qu'étaient le don et la rente annuels prévus par le traité (comme en 1905, on offrait un don de 4 $, une annuité de 8 $), ils définirent les termes réserves et écoles employés dans le traité et déclarèrent que les Indiens "conserveraient le privilège de chasser et de pêcher comme avant en contre-partie des terres qu'ils céderaient." Les Indiens acceptèrent le projet d'entente dans son intégralité; un certain nombre de leurs dirigeants signèrent l'accord. Sampson Beardy fut élu chef de la bande du lac Trout. Note de bas de page 203
Les commissaires pensaient que les fameux Indiens "cranes"se rendraient au Grand lac Trout pour adhérer au traité (on leur avait dit de le faire, dans une lettre); aucun n'y vint. Mais coïncidence curieuse, l'aéronef de Cain, qui retournait dans le sud, fut obligé de se poser, à cause des conditions météorologiques, sur un lac non porté sur les cartes, à un certain nombre de milles de sa route, et c' est là que Cain, "événement tout à fait inattendu", rencontra un certain nombre de "Cranes"dont le chef avait encore la lettre du docteur Scott dans sa poche. Cain leur dit qu'il comptait sur leur présence au Grand lac Trout l'année suivante, mais les "Cranes", toujours aussi indépendants, se montrèrent très réservés. Note de bas de page 204 Six mois plus tard, ils demandèrent, par l'entremise de leur missionnaire, que les commissaires viennent les voir chez eux parce que leurs canots étaient "trop vieux et trop fragiles" pour faire le voyage vers le nord et parce que les trois groupes qu'ils formaient jadis s'étaient fusionnés. Note de bas de page 205 Cain trouva que leurs raisons étaient, au mieux, fallacieuses; mais comme ils semblaient qu'"ils étaient résolus à être considérés comme des membres d'une bande distincte, qu'ils soient visés par un traité ou non", il accepta que les commissaires les visitent l'année suivante. Note de bas de page 206 Le 17 juillet 1930, Cain et Awrey se posèrent sur la rivière Windigo, à Nikip, où les attendaient 176 personnes qui, "en comparaison avec les membres des autres bandes, étaient débraillées, mal vêtues, plutôt indigentes et en détresse." Mais même s'ils "semblaient défavorisés", le médecin trouva qu'ils jouissaient d'une santé supérieure à la moyenne; aucun d'entre eux n'avait de carie, "grâce, pouvait-on supposer, à l'absence de sucre et de confiserie dans leur alimentation." On expliqua en détail le traité aux Indiens; après quoi, les dirigeants de ces derniers "posèrent plusieurs questions auxquelles on répondit entièrement, puis se dirent prêts à signer l'adhésion." Note de bas de page 207
Ce sont deux groupes du littoral de la baie d'Hudson, celui de Fort Severn et celui de Winisk, qui adhérèrent les derniers au traité, en 1930. Les Indiens de Fort Severn se montrèrent d'abord hésitants, "à cause de leur retenue naturelle ou de leur réserve puérile face aux Blancs" ; ils finirent cependant par échanger "des idées et des opinions" avec leurs interlocuteurs, puis par se déclarer satisfaits du traité. Note de bas de page 208 À Winisk, "les Indiens avaient une meilleurs connaissance des clauses du Traité no. 9 que plusieurs des membres des autres bandes visées par ledit traité depuis vingt-cinq ans"; par l'entremise de leurs interprètes, le père Martel et William Owen, ces Indiens affirmèrent souvent connaître "parfaitement le traité". Note de bas de page 209 À noter toutefois que le rapport des commissaires semble différer quelque peu des souvenirs de Michael Patrick, un membre de la bande de Winisk dont le frère signa le traité et qui, en 1983, déclara que les Indiens, en réalité, ne comprenaient pas tant que ça l'entente proposée. Il semble aussi, d'après ce que se rappelle Patrick, que la présence d'un commissaire provincial, au moins à Winisk, passa tout à fait inaperçue :
Puis on entendit parler d'un autre chef qui était censé venir nous voir bientôt et qui allait s'appeler "shonia ogima" (ou "chef à l'argent", c'est-à-dire les Affaires indiennes). Ça devait être un chef envoyé par le gouvernement. Par l'entremise d'une compagnie qui faisait le commerce des fourrures, on nous a fait parvenir une lettre. Dans cette lettre, on nous annonçait l'arrivée de représentants du gouvernement; on nous demandait aussi de prendre une décision au sujet de ce qu'on voulait faire de nos terres et du paiement de quatre ou de huit dollars qu'on nous offrait en échange de nos terres. Ceux qui allaient prendre l'argent allaient devoir accepter le traité. C'est ce qu'on disait dans la lettre, mais personne ne comprenait vraiment ce que ça signifiait. Cette lettre, c'est à mon frère Xavier Patrick qu'on l'a donnée parce qu'il était déjà allé à l'école et connaissait un peu l'anglais... puis ces gens sont finalement arrivés, le représentant des Affaires indiennes, un médecin et un membre de la GRC. Personne ne représentait le ministère des Terres et Forêts. Dès leur arrivée, les représentants du gouvernement nous ont dit de trouver trois candidats au poste de chef. Les trois candidats ont été mon frère Xavier, David Sutherland et John Bird. C'est mon frère qui a été choisi parce qu'il connaissait un peu l'anglais. On ne comprenait pas l'anglais et nos visiteurs ne comprenaient pas notre langue. L'interprète ne parlait pas notre langue'il venait de la rivière Stranger; c'était un Métis. On a discuté. On nous a dit que ceux qui accepteraient le traité recevraient de l'argent. On nous a dit que personne ne cherchait, en voulant nous faire signer l'entente, à changer notre mode de vie. Les Indiens qui assuraient leur subsistance en chassant des oiseaux allaient pouvoir continuer de la faire; les Indiens allaient aussi pouvoir continuer de chasser les animaux qui marchent, personne d'autre n'aurait le droit de les chasser. Personne ne pourrait imposer aux Indiens des conditions les obligeant à changer leur genre de vie. Les Indiens allaient pouvoir continuer de se nourrir d'oiseaux, de poissons, des autres animaux qui leur servaient de nourriture. Les Blancs continueraient d'élever du bétail et de cultiver des végétaux. Les Indiens continueraient d'être les maîtres des arbres et de les utilise comme ils le faisaient depuis toujours. Des lois seraient toutefois appliquées aux terres des Indiens pour les protéger, pour éviter qu'elles soient détruites par le feu. On nous a aussi dit que tous ceux qui n'étaient pas intéressés à prendre les moyens nécessaires pour gagner leur vie, qui étaient habiles et qui voulaient prendre en main leurs affaires seraient aidés par le gouvernement... Note de bas de page 210
Le district auquel devait s'appliquer les adhésions avait une superficie d'environ 128 000 milles carrés; c'était, selon un journaliste de l'époque, "le dernier territoire non encore cédé de tout le Dominion." Note de bas de page 211 Avec les terres obtenues en 1905 et 1906, c'était désormais à plus des deux tiers du territoire ontarien d'aujourd'hui qu'allait s'appliquer le Traité no. 9; ce dernier prépara l'exploitation de ressources immenses. Le gouvernement ontarien et sa population non indienne tirèrent incontestablement des avantages dudit traité; plusieurs Indiens disent en avoir tiré des avantages eux aussi. À la fin de sa longue vie, Michael Patrick était d'avis que les Indiens avaient observé le traité; toutefois, comme toutes les personnes de son âge, l'avenir le préoccupait :
Nous, les indigènes, nous commençons à perdre trop de choses. Peu d'entre nous sont capables de prendre soin d'eux. Nous devons nous assurer que chacun a les qualités nécessaires pour assurer sa subsistance. J'ai entendu dire que les avantages offerts aux Indiens par le gouvernement, que les ressources financières s'épuisaient...avant qu'il ne soit trop tard, nous devrons entreprendre d'encourager les nôtres à se préparer à devenir autonomes... Note de bas de page 212
Il est permis de se demander si les Cris et les Ojibways du nord auraient pu s'attendre d'être traités différemment, compte tenu de la situation politique. Une chose semble sûre : même si le territoire visé par le Traité no. 9 n'était pas, contrairement à ce qui a été dit, "le dernier territoire cédé" du Canada (les autochtones du nord du Québec, de la Colombie-Britannique et des Territoires du Nord-Ouest nous l'assureraient volontiers), la passation dudit traité marqua la fin d'une politique établie au XVIIIe siècle par le ministère britannique des Indiens. Désormais, les ententes conclues avec les Indiens allaient être différentes.
Bibliographie
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