Rapport de recherches sur les traités - Traité No. 7 (1877)

par Hugh A. Dempsey, Centre de la recherche historique et de l'étude des traités, Affaires indiennes et du Nord Canada, 1987

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Les opinions présentés par l'auteur de ce rapport ne sont pas forcement ceux du Ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada.

Table of contents

Contexte historique

Le traité no. 7, signé en 1877, fut le dernier d'une série de traités conclus entre le gouvernement du Canada et les Indiens du Nord-Ouest au cours de la décennie de 1870. Plus de vingt ans devaient s'écouler avant qu'un autre traité ne soit signé. Le traité no. 7 vint donc parachever le travail amorcé par le gouvernement après que la Terre de Rupert passa sous son autorité en 1870.

Dans l'optique du gouvernement, le traité no. 7 devait être conclu sur le champ et ce, pour un raison bien simple. Pour respecter l'une des conditions d'adhésion de la Colombie-Britannique à la Confédération en 1871, le gouvernement du Canada s'était engagé à construire, dans un intervalle de dix ans, un chemin de fer transcontinental. La nouvelle ligne ferroviaire devrait traverser les territoires de l'Ouest nouvellement acquis et franchir des terres en principe toujours détenues par des tribus indiennes. De vastes étendues de terre devraient être cédées à la société chargée de la construction du chemin de fer et, par la suite, la ligne ferroviaire favoriserait une immigration massive dans les prairies de l'Ouest.

Au moment de la promulgation de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique en 1867, la responsabilité liée aux Indiens et aux terres indiennes avait été confiée au gouvernement fédéral. En outre, le gouvernement était lié par les dispositions de la Proclamation royale de 1763 qui reconnaissait les Indiens comme les occupants légitimes dans territoires de chasse qu'ils exploitaient, jusqu'à ce que ces territoires soient cédés à une autorité gouvernementale. On ne pouvait donc procéder aux travaux de construction du chemin de fer avant l'extinction des droits des Indiens sur les terres bordant le parcours du chemin de fer. C'est pourquoi, entre 1871 et 1876, le gouvernement du Canada conclut systématiquement des traités avec toutes les tribus vivant sur les terres arables des Territoires du Nord-Ouest, à l'exception des tribus établies sur les quelque 50 000 milles carrés de terres situées au sud de la rivière Red Deer et longeant les montagnes Rocheuses. Cette zone était le territoire de chasse des trois tribus de la nation pied-noir (les Pieds-Noirs, les Bloods et les Piégans), ainsi que de leurs alliés (les Sarcis) et d'une tribu ennemie (les Stonys). Les Pieds-Noirs, les Bloods, les Piégans et les Sarcis constituaient des tribus. Les Stonys, pour leur part, étaient une branche des Assiniboines; quelques membres de cette tribu, qui occupaient des territoires de chasse situés plus à l'est, avaient été signataires des traités no. 4 et 6.

Comme les tribus pieds-noirs exerçaient leur suprématie sur la région non cédée, on en vint à désigner l'entente proposée sous le nom de Traité avec les Pieds-Noirs, même si, en réalité, le traité visait aussi d'autres tribus. Leur nombre et l'hégémonie incontestée qu'ils détenaient sur la région firent des Pieds-Noirs le point de mire des responsables gouvernementaux.

Au moment de leurs premiers contacts avec les Blancs au milieu des années 1700, les Pieds-Noirs occupaient sensiblement la même région que celle qu'ils aient déserté les bords de la rivière Saskatchewan-nord pour fuir vers le sud, jusqu'à la rivière Red Deer, devant l'inimitié des Cris, armés jusqu'aux dents. Les Pieds-Noirs occupaient normalement la partie nord du territoire de chasse, les Bloods la partie sud et les Piégans revendiquaient la zone située à proximité des montagnes. Les Bloods et les Piégans étendirent leur territoire de chasse bien à l'intérieur des États-Unis, même jusqu'à la rivière Missouri. Les Piégans formaient la plus nombreuse des trois tribus et, au début des années 1800, ils se scindèrent en deux groupes, les Piégans du nord et les Piégans du sud. Les Sarcis, une petite tribu, avaient l'habitude de chasser près des Pieds-Noirs dans les régions de Fort Edmonton et de Rocky Mountain House, alors que les Stonys occupaient les étendues boisées et la région des contreforts, en amont de la rivière Athabasca-sub jusqu'au col du Nid-de-Corbeau.

Bien que les Pieds-Noirs chassassent aussi bien en territoire britannique qu'américain, ils commencèrent exclusivement avec les Compagnies de la baie d'Hudson et du Nord-Ouest au cours des premières décennies qui marquèrent le début de leurs relations avec les Blancs. Le meurtre d'un Indien piégan par les membres de l'expédition de Lewis et Clark (État-Unis) en 1806 et, par la suite, les incursions des trappeurs américains en territoire de chasse pied-noir rendirent les Pieds-Noirs hostiles à tous ceux qui se hasardaient à remonter la rivière Missouri. Mais, en 1831, les Américains réussirent à faire la paix avec les Pieds-Noirs et des postes de traite s'élevèrent bientôt tout le long du haut Missouri.

Dès lors, les tribus de Pieds-Noirs commercèrent soit avec les Britanniques, soit avec les Américains, selon la compagnie qui offrait les meilleures marchandises aux plus bas prix. Cependant, les Pieds-Noirs et les Sarcis commerçaient généralement avec les Britanniques, les Piégans avec les Américains et les Bloods, avec les deux groupes. Quant aux Stonys, ils s'en remettaient entièrement aux Britanniques.

En 1855, lorsque le gouvernement américain songea sérieusement à autoriser la construction d'un chemin de fer jusqu'à la côte du Pacifique, il négocia un traité avec les tribus habitant les régions actuelles du nord du Montana et de l'Idaho. Parmi les plus éminents signataires de ce traité, on compte les chefs des Piégans du sud et des Bloods; seulement une poignée de Piégans du nord et de Pieds-Noirs se joignirent à ces derniers. Il est intéressant de noter que trois des chefs pieds-noirs signataires de ce traité - Veau de Médecine, Plusieurs chevaux tachetés et Père de nombreux enfants - allaient également signer plus tard le traité no. 7 conclu avec le gouvernement canadien. Note de bas de page 1

Pour les Pieds-Noirs, la conclusion d'un traité avec les Américains s'avéra une expérience décevante. Les annuités n'étaient pas versées à temps, la qualité des marchandises se détériora, et l'arrivée de colons entraîna chaque fois la renégociation du traité, réduisant sans cesse davantage le territoire de chasse des Indiens. En outre, la découverte d'or dans le Montana, dans les années 1860, attira une foule de colons, ce qui créa des tensions dans les rapports entre les Américains et les Pieds-Noirs, tensions qui dégénérèrent par la suite en hostilités ouvertes. Ces troubles, qu'on désigna sous le nom de "guerre des Pieds-Noirs", culminèrent en 1870 avec le massacre de Baker : des soldats américains massacrèrent 173 Piégans, principalement des femmes et des enfants, lors d'une attaque libre aux premières lueurs du jour.

Du côté britannique, la Compagnie de la baie d'Hudson entretenait de bonnes relations avec les Pieds-Noirs. Mais lorsque les tribus pieds-noirs se mirent à converger en nombre toujours plus grand vers la région de la rivière Saskatchewan-sud et de la rivière Missouri, les bandes pieds-noirs habitant plus au nord ne furent plus en mesure de résister aux pressions des Cris qui avançaient dans la plaine. Dans les années 1870, les Pieds-Noirs avaient délaissé le secteur s'étendant entre le ruisseau Battle et la rivière Saskatchewan-nord et avaient pris l'habitude de chasser dans la région située à proximité des rivières Bow et Red Deer.

En 1869, la Compagnie Hamilton and Healy remonta du Montana vers le nord, en territoire britannique, pour y établir un fort qui échappait à la juridiction du gouvernement américain. Situé au confluent des rivières Belly et Ste-Marie, près de l'actuelle ville de Lethbridge, le poste de traite fut tout d'abord baptisé Fort Hamilton, mais il devint vite connu sous le nom de Fort Whoop-Up. Le whisky et les carabines à répétition constituaient deux des principaux articles d'échange. Le whisky fit de grands ravages chez les Pieds-Noirs, et les carabines permirent à ces derniers d'abattre d'énormes quantités de bisons dont la peau était si recherchée.

Lorsqu'ils eurent vent du succès remporté par le Fort Whoop-Up, d'autres Américains envahirent le territoire de chasse des Pieds-Noirs pour y établir plusieurs postes de traite qui furent surnommés "whiskey forts" (forts à whisky) et dont les noms glorifièrent la vocation (Standoff, Slideout et Robbers' Roost). Il fallut peu de temps pour que ces forts fassent la ruine et le malheur des tribus pieds-noirs. Quelques années plus tard, le missionnaire Constantine Scollen décrivit, en ces termes, les effets du commerce de l'eau-de-vie aux commissaires chargés de la négociation et de la conclusion des traités : l'eau de feu coulait aussi librement que l'eau des cours d'eau venant de la montagne. Les malheureux Indiens succombaient par centaines à la concupiscence des Blancs : certains se soûlaient à mort, d'autres, ivres, mouraient de froid, et beaucoup tombaient sous les balles des Américains. Note de bas de page 2 Il ajouta que des querelles d'ivrognes éclataient entre les Pieds-Noirs, si bien que ces derniers se trouvèrent, en très peu de temps, divisés en petits clans, craignant de s'affronter. Il signala que, bien que les Pieds-Noirs aient été les Indiens les mieux pourvus de la région, ils devinrent vite loqueteux et perdirent chevaux et fusils.

La présence des forts américains mit pratiquement fin au commerce de la Compagnie de la baie d'Hudson, les Pieds-Noirs demeurant dans la plaine et échangeant sitôt acquises leurs peaux de bison. C'est ainsi que les Pieds-Noirs échappèrent à l'influence stabilisatrice des commerçants britanniques, qu'ils furent entraînes dans un tourbillon de soûleries et de querelles internes et assistèrent à la dégradation totale de leurs systèmes social et politique. Les Stonys, sous l'influence des missionnaires méthodistes, furent moins touchés par le commerce de l'eau-de-vie et continuèrent à traiter avec la Compagnie de la baie d'Hudson.

Le climat de dépravation que régnait au "Far West" n'était pas passé inaperçu à Ottawa. En 1872, le col. P. Robertson-Ross, adjudant-général de la Milice du Canada, fut dépêché sur place pour examiner la situation et pour faire des recommandations en vue du rétablissement de la loi et de l'ordre. Il se préoccupa d'abord et avant tout des tribus pieds-noirs qui, lui avait-on dit, comptaient 10 092 personnes - 2 523 hommes, 3 384 femmes et 4 245 enfants. Note de bas de page 3 Il parcourut une partie du territoire qui allait devenir le territoire du traité no. 7 et, à son retour à Ottawa, il indiqua qu'il fallait immédiatement envoyer un corps de police au sein des groupes de chasseurs pieds-noirs.

En partie comme suite au rapport du col. Robertson-Ross, le premier ministre de l'époque, l'hon. Sir John A. Macdonald, fit voter, un an plus tard, une loi qui permit la création de la Police montée du Nord-Ouest. L'une des premières missions du corps de police consista à se rendre dans l'Ouest pour mettre fin au commerce illégal de whisky. Bien qu'elle fut formée en 1873, la Police montée ne commença vraiment à opérer dans l'Ouest qu'un an plus tard, lorsque ses membres entreprirent à Dufferin (Manitoba) une marche épique qui les mena jusqu'aux contreforts des montagnes Rocheuses. Parvenu dans le sud de l'Alberta, la police constata que les commerçants de whisky avaient fui, laissant les Indiens dans un état lamentable. Une fois le commerce de l'eau-de-vie jugulé, les Indiens se remirent bientôt à reconstituer leurs troupeaux de chevaux et à établir leurs systèmes politique et judiciaire.

Il n'est donc par surprenant que les Pieds-Noirs aient considéré la Police montée du Nord-Ouest comme leur sauveur. Comme le disait Veau de Médecine : "Avant l'arrivée de la police, lorsque je me couchais le soir, tous les bruits m'effrayaient; mon sommeil était agité. Maintenant, je peux dormir sur mes deux oreilles; je n'ai pas peur. Note de bas de page 4 " Les Pieds-Noirs avaient plusieurs raisons de porter tant d'estime à la Police montée. Outre qu'elle avait débarrassé le pays des commerçants de whisky, elle s'était montrée compréhensive et juste dans ses rapports avec les Indiens. C'est en partie l'envergure de son commandant, James F. Macleod, qui se rendit d'abord dans l'Ouest en tant que commissaire adjoint et qui fut ensuite promu au rang de commissaire, qui valut au corps de police sa réputation.

Lorsqu'il rencontra les Pieds-Noirs pour la première fois, Macleod leur affirma qu'il n'y aurait qu'une seule loi et qu'elle serait appliquée de la même façon aux Indiens et aux Blancs. Tout cela était bien loin de ce que les Indiens avaient vécu dans le Montana, et les Pieds-Noirs furent stupéfaits lorsqu'ils constatèrent que Macleod tenait sa promesse. De son côté, Macleod apprit à ne pas faire de promesses qu'il ne pouvait tenir et, lorsqu'il en fit, à les tenir jusqu'au bout. Les chefs en furent, une fois encore, impressionnés. En outre, comme les membres du petit corps de police n'avaient pour ainsi dire aucune expérience des Indiens, ils ne nourrissaient au départ, à leur égard, aucun des préjugés qui étaient monnaie courante dans l'Ouest, et surtout à la frontière américaine.

La Police montée et surtout Macleod gagnèrent donc la confiance des Pieds-Noirs. Ainsi, lorsque Macleod fut désigné au nombre des commissaires chargés de négocier un traité avec les Indiens, il fut dès le départ perçu comme un homme intègre, digne de confiance et toujours sincère.

Si les Pieds-Noirs se réjouirent de l'arrivée de la police, ils s'irritèrent et s'inquiétèrent du fait que la présence des autorités ouvrait la région à leurs ennemis et à des commerçants indésirables. Ils en voulaient particulièrement aux chasseurs de bisons métis qui établissaient des camps semi-permanents près de Fort Macleod et de Fort Calgary, traversant sans autorisation des terres que les Pieds-Noirs considéraient comme les leurs. Ils étaient également hostiles à tout commerçant qui s'installait dans la région sans les récompenser de ce privilège obtenu.

C'est à l'été de 1875, quelques semaines seulement après la fondation de Fort Calgary, que les Pieds-Noirs entendirent pour la première fois parler d'un traité. Pied de Corbeau se rendit alors à la mission méthodiste située en amont de la rivière Bow et fit part de ses préoccupations au rév. John McDougall. McDougall raconte :

Il posa beaucoup de questions concernant l'avenir, j'ai pris le temps de lui expliquer comment les négociations du Canada avec les nations indiennes du pays s'étaient déroulées jusque là et je lui ai assuré qu'en temps et lieu, des traités seraient conclus et qu'une paix durable régnerait dans le pays, dans un climat de justice pour tous. Le chef s'est dit enchanté de ce que je venais de lui dire et heureux des changements que l'arrivée de la Police montée dans l'Ouest avait apporté. Note de bas de page 5

Au cours de l'été, la question du traité fut à nouveau soulevée lorsque Pied de Corbeau rencontra le major-général E. Selby-Smyth, commandant de la milice canadienne, qui parcourait l'Ouest. Le chef lui demanda de préciser certaines des questions commentées par Mc Dougall. Bien que Selby-Smith ignorât à peu près tout des traités, il promit de transmettre sa demande de renseignements à Ottawa et affirma que le gouvernement traiterait équitablement avec les Indiens.

À l'automne de la même année, peut-être comme suite aux renseignements obtenus de McDougall et de Selby-Smyth, les principaux chefs des Pieds-Noirs, des Bloods, des Piégans et des Sarcis se réunirent à Blackfoot Crossing et, avec l'aide de Jean L'Heureux, un Canadien-français vivant parmi eux, ils préparèrent une requête qu'ils adressèrent au lieutenant-gouverneur Alexander Morris. D'après la teneur de la requête, les Pieds-Noirs savaient de toute évidence que des traités étaient négociés ailleurs et que la Reine reconnaissait le droit de propriété des Indiens sur leur territoire de chasse. Dans leur requête, les chefs demandaient de rencontrer un commissaire chargé de négocier avec les Indiens en vue d'arrêter l'invasion de leur territoire "jusqu'à ce qu'un traité soit conclu avec le gouvernement." Note de bas de page 6 Ils se plaignaient que les Blancs s'étaient emparés des meilleurs endroits pour s 'y installer, et que, depuis quatre ans, les Métis et les Cris chassaient le bison été comme hiver au beau milieu de leur territoire de chasse. Note de bas de page 7

Bien que la rencontre ait eu lieu en 1875, la requête ne fut présentée qu'au printemps de l'année suivante. Dans l'intervalle, les Pieds-Noirs s'étaient rendu compte que le gouvernement était à négocier le traité no. 6 avec les Cris, les Assiniboines et les Saulteux (Ojibways), au nord et à l'est de leur propre territoire. Ils dépêchèrent donc deux des leurs à Fort Pitt pour transmettre directement aux commissaires la requête des Indiens du sud. Cependant, les prairies étaient complètement dépourvues de gibier et les hommes durent rebrousser chemin.

À défaut d'un échange direct, les Pieds-Noirs durent s'en remettre aux missionnaires méthodistes et catholiques pour acheminer leur requête jusqu'aux commissaires à l'occasion de leur rencontre à Fort Pitt. C'est donc en ces termes que le rév. John McDougall fit appel au Lieutenant-gouverneur Morris :

Je ne saurais trop recommander au gouvernement du Dominion d'envoyer un ou des commissaires pour négocier ou pour conclure un traité avec les nombreuses tribus de Pieds-Noirs le plus tôt possible... Des Blancs de partout affluent dans le pays et s'approprient les terres. Le gouvernement s'occupe des Cris et des Assiniboines qui sont depuis peu, les ennemis mortels des Pieds-Noirs, et il conclura un traité avec eux cet été même. Connaissant le tempérament des Indiens, j'ai tout lieu de croire que si le gouvernement les néglige, la jalousie et la rancoeur qu'ils ressentiront pour diverses raisons pourraient tôt ou tard les pousser à des actes malveillants. Note de bas de page 8

Le père Constantine Scollen explique également de la façon souvent le point de vue des Pieds-Noirs :

Ils ont terriblement peur de l'avenir. Ils pensent que la police est venue au pays non seulement pour éloigner les commerçants de whisky, mais également pour protéger les Blancs contre les Indiens, et que le pays leur sera progressivement enlevé sans cérémonie. Je puis vous certifier que c'est ce qu'ils pensant vraiment, car bien qu'ils ne s'en ouvrent pas aux autres, à moi, ils ne me le cachent pas. Les Pieds-Noirs s'attendent de conclure une entente réciproque avec le gouvernement, se fiant à ce que plusieurs leur ont dit, notamment le général Smythe l'an dernier. Note de bas de page 9

Comme suite à ces soumissions et conformément à l'objectif du gouvernement qui consistait à conclure des traités partout dans les Territoires du Nord-Ouest, le Lieutenant-gouverneur Morris recommanda au ministre de l'Intérieur, à l'automne de 1876, "de prendre des mesures en vue de la conclusion d'un traité avec les Pieds-Noirs au début de la prochaine saison, à un endroit central où les Pieds-Noirs ont l'habitude de se rassembler au début de l'été." Note de bas de page 10 Il expliqua que "pour éviter de susciter le mécontentement des Pieds-Noirs, il faut conclure un traité avec eux et, ce faisant, compléter la série de traités avec les Indiens dans le Nord-Ouest. Note de bas de page 11

Plus tard cette année-là, en novembre, une délégation de chefs des Bloods se rendit à Fort Macleod pour se plaindre des incursions que faisaient chez eux les chasseurs cris. Veau de Médecine, chef guerrier de la tribu, prit alors le colonel Macleod à part et l'interrogea sur les rumeurs de traité qui circulaient. Macleod expliqua que, bien que rien ne soit encore officiel, il croyait savoir que des négociations auraient lieu l'année suivante. Veau de Médecine répondit :

qu'il s'était tout d'abord opposé à la conclusion d'un traité, mais qu'il avait changé d'avis et qu'il userait de toute son influence pour convaincre ses gens d'accepter. Veau de Médecine est un homme très violent, mais il est intelligent, et j'étais heureux de l'entendre parler ainsi, car on m'avait dit qu'il ferait tout son possible pour contrecarrer la conclusion d'un traité - ou, comme disent les Indiens, pour empêcher qu'on ne "donne leurs terres gratuitement. Note de bas de page 12

Préparatifs du traité

En janvier 1877, l'hon. David Mills, ministre de l'Intérieur, fit rapport de la situation qui régnait chez les Pieds-Noirs, et affirma que "ces Indiens souhaitaient en général qu'un traité soit conclu avec eux au plut tôt." Note de bas de page 13 Le ministre nomma donc deux commissaires pour s'acquitter de cette mission : l'hon. David Laird, Lieutenant-gouverneur des Territoires de Nord-Ouest, qui avait collaboré à la négociation du traité no. 4 en 1874, et le colonel Macleod, promu depuis peu au poste de commissaire de la Police montée du Nord-Ouest. De toute évidence, Laird fut choisi en raison de son expérience et de son titre officiel, et Macleod était important aux yeux des Pieds-Noirs à cause du respect qu'ils lui vouaient.

Au début, on envisagea de tenir les négociations dans les collines Hand, quelques centaines de milles au nord de Blackfoot Crossing; c'était l'endroit précisé par les Indiens dans leur requête de 1875. Cependant, les commissaires optèrent plutôt pour Fort Macleod, qui était situé au centre du territoire visé par le traité proposé et qui convenait tant aux commissaires qu'à la police. Mais, lorsque Pied de Corbeau, l'un des deux principaux chefs de la tribu pied-noir, fut mis au courant de ce choix, il s'opposa à ce que la rencontre ait lieu dans un fort de Blancs et demanda qu'on choisisse plutôt Blackfoot Crossing. Les commissaires acceptèrent à contrecoeur.

Non loin de là, au Montana, le Fort Benson Record publiait que:

Ce choix engendrera beaucoup de mécontentement chez les Bloods et les Piégans du nord, et l'on craint des manifestations de violence là où le traité sera négocié. S'il y avait déclenchement des hostilités, les Indiens auraient l'avantage, car ils seront probablement plus de dix mille, alors que les Blancs seront à peine cinq cents. Il est probable que ces Indiens accepteront de conclure un traité à la seule condition que la police consente à tenir les Métis, les Cris, les Assiniboines, les Pend-Oreilles et les Nez Percés loins du territoire... Note de bas de page 14

Les négociations inquiétaient même le Manitoba Free Press, de tendance plus conservatrice. "Que se passera-t-il si les exigences des Pieds-Noirs sont telles que le gouvernement canadien ne puisse les agréer ou y satisfaire?" s'enquérait-il, "...si les arguments moraux ne suffisent pas à inciter les Indiens à conclure un traité, il n'existe aucun moyen de les forcer à se plier aux conditions du gouvernement. Dès lors, la situation des Blancs de passage en territoire pied-noir sera très précaire Note de bas de page 15

C'est alors que le Lieutenant-gouverneur Laird arriva à Blackfoot Crossing le 1er septembre, en provenance de Battleford. Trois jours plus tard, il parvint à Fort Macleod où il rencontra celui qui allait être son partenaire de négociation, James Macleod. Il reçut également une dépêche du ministre de l'Intérieur, en date du 1er août, "portant sur le mandat relatif à la négociation du traité ainsi qu'un exemplaire du décret en conseil du 12 juillet, en vertu duquel le mandat avait été confié." Note de bas de page 16 Plus tard, dans le cadre des pourparlers avec les chefs indiens, Laird indiqua qu'il avait reçu des instructions claires quant aux conditions à offrir. "La Reine désire que nous vous offrions des conditions semblables à celles qui ont été acceptées par les Cris", dit-il. "Je ne veux pas dire que vous aurez exactement la même chose, mais quelque chose d'équivalent, pour lequel la Reine déboursera le même montant." Note de bas de page 17

À Fort Macleod, Laird rencontra un certain nombre de chefs des Bloods qui demandèrent que les négociations aient lieu au fort. Ils ne voulaient pas se rendre plus au nord, à Blackfoot Crossing. Leur demande fut rejetée, le commissaire voulant rencontrer tous les Indiens en même temps. Pendant ce temps, certains Piégans et Blood manifestèrent l'intention de ne pas assister aux négociations du traité de d'aller plutôt chasser le bison.

La date du début des négociations était fixée au 17 septembre, et quand, la veille, Laird arriva à Blackfoot Crossing, il fut déçu de constater que "la plupart des Indiens présents étaient des Pieds-Noirs et des Assiniboines ou des Stonys." Note de bas de page 18 Pied de Corbeau était le principal porte-parole des Pieds-Noirs; quant aux Stoneys, ils étaient de toute évidence sous l'influence du missionnaire méthodiste John McDougall. Lorsque les Stonys arrivèrent sur les lieux de la rencontre, ils établirent leur campement sur la rive nord de la rivière Bow, en compagnie des missionnaires et de commerçants de la Compagnie de la baie d'Hudson. Les Pieds-Noirs, eux, s'établirent du côté ouest d'une vaste plaine alluviale, sur la rive sud de la rivière.

Le lendemain, un chef des Bloods et quelques Piégans étaient arrivés, mais le gros des bandes du sud ne s'était pas montré. Quant à la Police montée, elle tentait pendant ce temps de convaincre les Bloods et les Piégans de se rendre au lieu de négociation du traité. Par exemple, le chef piégan "Grand Cygne" se dirigeait vers la rivière Judith dans le Montana lorsque sa bande fut interceptée par la police. "Ils avaient établi leur campement près de cette rivière lorsque les soldats (c.-à.-d. la police) arrivèrent et leur demandèrent si Grand Cygne était parmi eux", de dire le petits-fils du chef. "Les Indiens plièrent ensuite bagage et se mirent en route pour rentrer chez eux. Ils firent un arrêt aux environs de Standoff. Le lendemain, ils étaient arrivés et Grand Cygne prit alors le chemin de Blackfoot Crossing." Note de bas de page 19 D'autres bandes furent rejointes elles aussi et pressées de se rendre au lieu de la rencontre.

Négociations du traité - point de vue du gouvernement

Le lundi après-midi, 17 septembre, les commissaires Laird et Macleod rencontrèrent les chefs présents à la négociation du traité. En général, Laird mena les négociations, Macleod ne prenant la parole que pour répondre à des questions précises. Comme il manquait un grand nombre de Bloods et de Piégans, Laird décida de ne prononcer qu'un bref discours d'ouverture. "Nous avons choisi ce jour", de dire Laird à l'assemblée, "et j'ai parcouru beaucoup de chemin pour tenir ma promesse." Note de bas de page 20 Il suggéra alors que les négociations soient reportées de deux jours pour laisser aux autres chefs le temps d'arriver.

Pendant ces deux jours, la Police montée reçut les instructions de distribuer des vivres aux Indiens. "Pied de Corbeau et quelques autres chefs subissant son influence ne voulaient pas accepter les vivres avant de voir quelles allaient être les conditions du traité", commenta Laird :

Pied de Corbeau semblait penser que si les Indiens se nourrissaient des générosités du gouvernement, ils seraient tenus d'accepter les propositions des commissaires, quelle qu'en soit le nature. Bien que j'aie craint que ce refus n'augure mal l'issue des négociations, je ne pus m'empêcher de souhaiter que les autres Indiens que j'avais vus aient un peu de cet esprit d'indépendance dont le grand chef des Pieds-Noirs faisait preuve à ce moment à l'égard du gouvernement. Note de bas de page 21

Les représentants du gouvernement et les autres Blancs présents ne savaient trop comment les Indiens allaient réagir aux conditions qu'on allait leur proposer. Comme l'expliqua l'un des témoins : "On espérait que le traité qui allait être conclu apporterait une paix durable, mais on n'en était qu'aux négociations. Tous les groupes d'une vaste région, jadis antagonistes, étaient réunis, et personne ne pouvait dire au juste quelle tournure les événements allaient prendre. Il ne faisait aucun doute que les Pieds-Noirs étaient en mesure de maîtriser la situation." Note de bas de page 22

En attendant l'arrivée des autres chefs, les commissaires eurent un entretien avec un groups de Cris sous la direction de leur chef, Bobtail, venue signer une adhésion au traité no. 6. La Police montée continua à distribuer des vivres à tous les Indiens qui les acceptaient.

Le 19 septembre, les principales bandes des Bloods n'étaient pas encore arrivées, mais Laird décida d'entamer les négociations. Dans l'après-midi, les chefs se réunirent devant la grande tente où les commissaires et leurs aides avaient pris place; à quelque sept cents pieds derrière les chefs, environ quatre mille hommes, femmes et enfants indiens formaient un demi-cercle. Laird entreprit un discours plein d'éloquence, mais une fois les premières paroles prononcées, il se heurta à un problème inattendu :

Après avoir prononcé le mot d'ouverture d'un discours qu'il voulait digne de passer à l'histoire, (commenta un observateur), il se tourna vers Jerry Potts, interprète de la Police, et attendit que ses propos soient traduits dans la langue des Indiens présents. Laird ne put aller plus loin, car Jerry resta bouche bée devant l'auditoire. Jerry n'avait pas compris les mots prononcés par Laird et, même s'il les avait compris, il aurait été tout à fait incapable d'en transposer le sens dans la langue de ses pairs. Jerry était un métis pied-noir, mais il n'était pas très à l'aise avec l'anglais et il n'avait pas la plus petite idée du langage que tenait M. Laird. Note de bas de page 23

Enfin, les commissaires purent s'assurer les services d'un vieillard aveugle de nom de James Bird qui, avec l'aide de John Munro et d'Isidore St. Duval, fit office d'interprète pour le gouvernement. Jean L'Heureux, qui vivait dans le campement de Pied de Corbeau, servit d'interprète pour les Indiens, bien qu'il fut payé par le gouvernement. Le commissaire Laird fut enfin prononcer son discours :

L'Esprit Tout Puissant a créé toutes choses - le soleil, la lune et les étoiles, la terre, les forêts et les rivières où coule l'eau vive. C'est par la volonté de l'Esprit Tout Puissant des Blancs que la Reine gouverne ce grand pays et d'autres grands pays. L'Esprit Tout puissant a fait de nous, hommes blancs et hommes à la peau rouge, des frères, et nous devrions tous marcher main dans la main. Notre Mère Toute puissante à tous aime ses enfants également, qu'ils aient la peau blanche ou rouge; elle ne leur veut que du bien. Note de bas de page 24

Après avoir souligné l'aide apportée aux Indiens par la Police montée du Nord-Ouest, Laird dit craindre la disparition prochaine des bisons et indiqua que le gouvernement avait adopté des règlements visant à protéger les troupeaux. Il expliqua ensuite comment d'autres traités avaient été conclus dans l'Ouest :

Dans quelques années à peine, il ne restera probablement plus de bisons (de dire Laird). C'est pourquoi la Reine veut que vous permettiez à ses enfants blancs de venir vivre sur vos terres et d'y aider à élever du bétail et, si vous acceptez, elle vous aidera à élever du bétail et à faire pousser des céréales; elle vous donnera ainsi les moyens d'assurer votre subsistance lorsqu'il n'y aura plus de bisons. Elle vous donnera aussi chaque année, à vous et à vos enfants, de l'argent que vous pourrez dépenser comme bon vous semblera. Note de bas de page 25

Laird exposa ensuite les conditions générales du traité. Ces conditions, énoncées dans le document officiel, se résument comme suit:

En échange, les Pieds-Noirs, les Bloods, les Piégans, les Sarcis et les Stonys doivent "céder, abandonner, remettre et rendre au gouvernement du Canada" tous les droits, titres et privilèges qu'ils détiennent à l'égard de leurs territoires de chasse. Note de bas de page 26 Ils doivent également promettre de vivre en paix avec les Indiens, les métis et les Blancs, d'observer les lois appliquées par la Reine et de ne molester quiconque sur les étendues cédées. Après avoir terminé son allocution, Laird invita les chefs à regagner la tente de leur conseil et à examiner l'offre du gouvernement avant de prendre la parole devant l'assemblée.

Le lendemain, 20 septembre, Laird fit savoir aux chefs qu'il était maintenant prêt à les écouter.

Veau de Médecine, important chef guerrier de 72 ans de la tribu des Bloods, fut le premier à prendre la parole. Aussi connu sous le nom de Bouton, il avait signé le traité de 1855 avec les Américains. Il commença son discours en disant que c'était l'Esprit Tout Puissant et non la Mère Toute Puissante qui avait donné les terres aux Indiens. Il rendit hommage à la Police montée qui avait chassé les commerçants de whisky, puis exposa ses demandes et ses appréhensions.

Les Américains nous ont tout d'abord donné de gros sacs de farine et de sucre et beaucoup de couvertures. L'année d'après, ils nous ont remis seulement la moitié des quantités et les années suivantes, les quantités se sont faites de plus en plus maigres. Maintenant, ils ne nous donnent qu'une poignée de farine. Nous voulons recevoir cinquante dollars pour chaque autre personne, hommes, femmes et enfants, et nous voulons recevoir ces sommes chaque année dans l'avenir. Nous voulons être dédommagés en argent pour tout le bois que la Police et les Blancs ont utilisé depuis qu'ils sont arrivés chez nous. S'ils continuent de se servir ainsi, il n'y aura bientôt, plus de bois de feu pour les Indiens. J'espère, Père Tout Puissant, que vous allez accéder à toutes ces demandes. Note de bas de page 27

Laird répondit que Veau de Médecine était trop exigeant, et que le gouvernement avait rendu service aux Indiens en leur envoyant la Police montée. "Pourquoi devrions-nous vous payer pour le bois utilisé?" fit Laird. "Ce serait plutôt à vous, Indiens, de nous payer pour avoir envoyé la Police chasser ces commerçants d'eau-de-vie et vous rendre la sécurité et la paix." Note de bas de page 28 D'après Laird, "Pied de Corbeau et les autres chefs rirent de bon coeur de l'orateur des Bloods qui venait de parler." Note de bas de page 29 Pour sa part, le porte-parole des Stonys se dit prêt à accepter les conditions exposées.

Ce soir-là, des Bloods et des Piégans arrivèrent nombreux et allèrent immédiatement s'entretenir avec Pied de Corbeau et les autres chefs qui avaient assisté à l'énoncé des offres. Le lendemain matin, Laird observa : "il y avait une rumeur voulant que les Indiens n'arriveraient pas à s'entendre entre eux dans leurs propres conseils, et qu'un petit groupe s'opposait à la conclusion d'un traité." Note de bas de page 30 Cecil Denny de la Police montée nota également : "il semblait que tous les espoirs de conclure un traité devaient être abandonnés." Note de bas de page 31 Cependant, non seulement les Pieds-Noirs acceptèrent-ils l'offre du gouvernement, mais encore le firent-ils sans ergoter sur les conditions. Devant l'assemblée, Pied de Corbeau fit le discours d'acceptation suivant au nom des Pieds-Noirs et de leurs alliés :

Pendant que je parlerai, soyez bons et patients. Je dois parler pour mon peuple qui est nombreux et qui s'en remet à moi pour suivre cette voie qui devra, dans l'avenir, lui être bénéfique. Les plaines sont grandes et vastes. Nous sommes les enfants des plaines; c'est notre demeure et le bison a toujours été notre nourriture. J'espère que vous considérez les Pieds-Noirs, les Bloods et les Sarcis comme vos enfants maintenant, que vous serez indulgents et charitables avec eux. Ils veulent que je parle maintenant en leur nom, et j'ai bon espoir que l'Esprit Tout Puissant saura répandre la bonté dans le coeur et dans l'esprit des hommes, des femmes et des enfants, et de ceux qui leur succéderont. Les paroles prononcés ici devant moi et devant mon peuple sont vraies. Si la Police n'était pas venue dans le pays, où serions-nous maintenant? Le whisky et des hommes sans scrupules nous tuaient si vite qu'en vérité, très peu d'entre nous auraient survécu jusqu'à aujourd'hui. La Police nous a protégés comme les plumes protègent l'oiseau des gênées de l'hiver. Je leur donne ma bénédiction et je sais que nos coeurs seront dorénavant meilleurs. Je suis content. Je signerai le traité. Note de bas de page 32

L'un après l'autre, les autres chefs s'avancèrent pour dire qu'ils acceptaient le traité. Même Veau de Médecine, chef guerrier des Bloods, se sentit obligé de se dire d'accord. Le lendemain, samedi 22 septembre, le document fut présenté aux chefs pour qu'ils le signent. Le premier à signer fut Pied de Corbeau; ensuite, les principaux chefs, les sous-chefs et les conseillers des cinq tribus l'imitèrent. Un seul problème d'ordre administratif surgit : Vieux Soleil, un chef pied-noir sensiblement de même rang que Pied de Corbeau, dit qu'il était trop vieux et demanda que son frère Grand Bouclier le remplace. Une fois qu'on eut accédé à se demande, Vieux Soleil changea d'avis et exigea que sa position soit reconnue. Les commissaires nommèrent donc trois chefs pieds-noirs au lieu de deux.

Lorsque vint le moment de choisir l'emplacement de leurs réserves, seulement trois tribus avaient les idées bien arrêtées sur ce qu'elles voulaient. Les Piégans voulaient s'établir près des collines de Porcupine; les Stonys, par la voix de leur missionnaire, choisirent les terres situées près de la mission méthodiste en amont de la rivière Bow; quant aux Pieds-Noirs, ils voulaient rester près de Blackfoot Crossing. Comme ni les Bloods ni les Sarcis n'avaient de préférence, Pied de Corbeau suggéra qu'ils occupent les terres contiguës à celles de sa réserve, le long de la rivière Bow.

On passa la semaine qui suivit à inscrire et à payer les Pieds-Noirs et les autres tribus. Le gouvernement paya en tout 52 954 $ à dix chefs, quarante sous-chefs et conseillers et 4 342 autres personnes. En outre, le coût des présents, des salaires, des déplacements, etc., se chiffra à 8 881,22 $. Plus tard cette année-là, le 4 décembre, le commissaire Macleod obtint l'adhésion au traité de 281 autres Pieds-Noirs dirigés par Trois Boeufs, le frère adoptif de Pied de Corbeau. Il leur versa 3 375 $. Il était cependant évident que bien des Indiens, y compris au moins un chef, Loup qui étrangle, ne s'étaient pas montrés; ceux-là ne seraient payés que l'année suivante.

Lorsqu'il remit le traité dûment signé aux autorités, Laird se sentit obligé de fournir des explications sur certaines dépenses liées aux promesses faites, parce qu'elles pouvaient "paraître excessives à certains." Note de bas de page 33 Il expliqua que les Pieds-Noirs n'avaient aucun intérêt pour l'agriculture, c'est pourquoi il leur avait offert du bétail, et que seuls les Stonys avaient manifesté le désir d'obtenir des instruments aratoires et des semences. Laird entreprit également de justifier le nombre de bêtes à cornes offertes, précisant qu'elles pouvaient être achetées à bon marché à Fort Macleod, sans qu'il n'en coûte beaucoup pour leur transport. Il dit croire en outre qu'il avait réalisé des économies en permettant aux Pieds-Noirs de ne nommer qu'un petit nombre de sous-chefs plutôt que de nombreux conseillers. Il conclut en disant que "les dépenses totales liées à la fourniture des articles promis dans le cadre de ce traité seront, j'en suis persuadé, inférieures aux dépenses engagées aux fin du traité no. 4 ou du traité no. 6." Note de bas de page 34

Le 21 janvier 1878, le ministre de l'Intérieur soumit le document signé au Conseil privé en signalant que "les conditions du traité, bien qu'assez coûteuses, paraissent dans l'ensemble satisfaisantes." Note de bas de page 35 À la recommandation du Ministre, le document fut accepté et approuvé par le gouverneur en conseil le 6 février.

Négociations du traité - point de vue des indiens

Dès que le gouvernement annonça son intention de négocier un traité, on se demanda si les Indiens comprenaient le but de la rencontre proposée. Le gouvernement du Canada pouvait s'appuyer sur une longue tradition en matière de propriété foncière personnelle, de vente de terres et de recours à des documents écrits pour officialiser une entente perpétuelle. Les Indiens des plaines du nord, par contre, n'avaient aucune notion de la propriété foncière personnelle et on doute fort que cette notion fut même reconnue à l'échelle de la tribu. Lorsque Veau de Médecine disait que c'est "l'Esprit Tout Puissant et non la Mère Toute Puissante qui a donné les terres aux Indiens", Note de bas de page 36 il révélait ainsi la perception que les Indiens avaient de l'occupation des terres. Bien sûr, l'Esprit Tout Puissant n'a pas remis de titres de propriété aux Indiens. Veau de Médecine laissait plutôt entendre que l'Esprit Tout Puissant était source de toute vie et que tout, y compris la terre, venait de Lui.

Les Indiens ne s'estimaient pas propriétaires des terres, mais croyaient plutôt qu'ils en étaient les occupants de droit. Ceux qui les possédaient pouvaient les défendre, imposer des droits de passage à ceux qui y pénétraient, et considérer à eux les créatures qu'elles abritaient. Ainsi donc, les Pieds-Noirs pouvaient accorder ou refuser aux commerçants le droit de s'établir sur leurs terres et parfois même de les traverser. C'est ce qu'ils firent. Par exemple, il était d'usage que les commerçants américains arrivant en pays pied-noir sollicitent la permission d'un chef hivernant dans les parages et le dédommagent pour les arbres qu'ils utilisaient pour se construire et se chauffer. C'est ce qui se produisit lorsque Hamilton et Healy élevèrent le Fort Whoop-Up en 1869; ils en obtinrent la permission du chef des Bloods, Collier de Fer. Lorsque le colonel Macleod construisit le poste de la Police montée en 1874, l'histoire veut qu'il fut conseillé d'en demander la permission à Tête de Boeuf, un chef piégan qui hivernait dans la région. On raconte que non seulement Tête de Boeuf acquiesça à la demande du colonel, mais encore qu'il était tellement content de rencontrer la Police qu'il donna son nom à Macleod.

Il est également intéressant de noter que, lorsque les Pieds-Noirs rédigèrent leur requête au gouvernement en 1875, ils ne demandèrent pas de négocier un traité, mais de rencontrer le commissaire en vue de "arrêter l'invasion de notre territoire, jusqu'à ce qu'un traité soit conclu avec le gouvernement." Note de bas de page 37 Ce qui les préoccupait beaucoup plus que la nécessité de conclure un traité, c'était que les Cris et les Métis chassaient le bison chez eux et que les Blancs choisissaient, pour s'installer, les endroits où eux-mêmes aimaient hiverner.

Bien sûr, les traités n'étaient pas chose nouvelle pour les Pieds-Noirs C'est avec une régularité presque monotone que les chefs concluaient, avec les tribus ennemies, des traités de paix que violaient, quelques semaines ou quelques mois plus tard seulement, de jeunes guerriers à chevel faisant des incursions surprises dans le camp adverse. À plusieurs reprises, des traités de paix furent négociés par des commerçants de fourrure qui désiraient faire régner dans leur région un climat plus paisible. En 1831, par exemple, des commerçants américains négocièrent un traité officiel à Fort Union, sur la rivière Missouri, en vue de rétablir la paix entre les Pieds-Noirs, les Bloods et les Piégans d'une part et les Assiniboines d'autre part. Voici quelques passages du document que signèrent les chefs : "tant que l'eau coule ou que l'herbe pousse" Note de bas de page 38 et "un traité de paix et d'amitié est conclu par lesdites hautes parties contractantes, en foi de quoi elles y ont apposées leurs signatures et leurs sceaux." Note de bas de page 39

Le premier traité de cession de terres que signèrent les Pieds-Noirs fut celui qu'ils conclurent avec les Américains en 1855. Cependant, à l'instar des ententes conclues antérieurement, le document mettait surtout l'accent sur le maintien de la paix parmi les tribus antagonistes. En outre, le traité ne fut jamais honoré à la lettre par le gouvernement et, en 1865, lorsque les relations entre les Pieds-Noirs et les nouveaux colons se tendirent, il fut carrément abandonné. On proposa aux Indiens de le remplacer par un autre traité réservant à leur usage une étendue beaucoup moins grande. Que ce soit par résignation ou par amitié véritable, Petit Chien, un chef piégan, souscrivit aux conditions du nouveau traité en ces termes : "La terre nous appartient...nous avons grandi ici. Nous sommes heureux d'en donner une partie aux États-Unis, vu ce que nous avons reçu en retour." Note de bas de page 40

On pourrait, à partir de là, croire que les Pieds-Noirs avaient une petite idée de ce qu'était une cession de terres, ce n'est pas nécessairement le cas. Mais pour eux, le traité s'appartenait plutôt aux accords qu'ils avaient conclus depuis des générations. Ils autorisaient simplement les Américains à occuper une partie de leurs terres, exactement comme ils l'avaient fait lorsqu'ils avaient permis aux commerçants de s'établir chez eux.

Ainsi, dans leur requête de 1875, les Indiens s'inquiétaient de ce que les Blancs s'établissaient sur leurs territoires de chasse, apparemment sans leur demander la permission ou leur verser de dédommagement. C'est du problème que lui posait le traité no. 7 que parlait Veau de Médecine lorsqu'il déclara : "nous voulons être dédommagés en argent pour tout le bois que la Police et les Blancs ont utilisé depuis qu'ils sont arrivés chez nous. S'ils continuent à se servir ainsi, il n'y aura bientôt plus de bois de feu pour les Indiens." Note de bas de page 41 Ce ne sont pas les propos d'un homme qui convient de céder la totalité de ses territoires de chasse, mais plutôt de quelqu'un qui, parcourant sa propriété, s'inquète de ce qu'il lui reste de bois. Juste avant la conclusion du traité, lorsqu'il affirma que les Pieds-Noirs ne "donneraient pas leurs terres gratuitement", Note de bas de page 42 il voulait simplement souligner que les colons devaient payer les Pieds-Noirs, comme ils l'avaient toujours fait jusque là.

Rien n'indique clairement que les Pieds-Noirs aient été prêts à donner, en connaissance de cause, la totalité de leurs territoires de chasse; rien non plus, dans leur vécu, ne leur permettait de comprendre la signification d'un tel geste. En fait, Pied de Corbeau précisa clairement, dans son allocution de clôture, que son peuple ne renonçait pas à ses terres. Le père Scollen déclara : "Père Tout Puissant! Aie pitié de moi. Ce pays, ces montagnes, ces collines et ces vallées, ces prairies, ces forêts et ces eaux, tous ces animaux qui y vivent, ne me les enlève pas à moi ni à mes enfants pour toujours!" Note de bas de page 43

Ainsi, quand ils apprirent en 1877 que le gouvernement de la Reine voulait les rencontrer pour conclure un traité, la nouvelle ne causa ni surprise ni inquiétude. Ils crurent probablement que, pendant cette rencontre, ils allaient renforcer les liens d'amitié qui les unissaient à la Police montée, promettre de vivre en paix et, avec un peu de chance, obtenir que des mesures soient prises pour contrer les incursions des commerçants blancs et des chasseurs ennemis.

Les chefs indiens attachèrent par conséquent très peu d'importance à la rencontre. Ainsi, lorsque Pied de Corbeau obtint que le lieu de la rencontre soit Blackfoot Crossing, quelques Bloods et Piégans décidèrent de ne pas s'y rendre simplement parce que c'était trop loin et que cela ne valait probablement pas le déplacement. C'est seulement lorsque la Police montée alla les chercher qu'ils acceptèrent de s'y rendre. C'est en analysant l'attitude de Père de Nombreux Enfants, l'un des principaux chefs des Bloods et celui qui, de tous ceux qui assistèrent aux négociations, était le plus vieux, qu'on peut constater le peu d'importance que les Indiens attachaient à la rencontre. En plus d'être chef, il était le dépositaire du calendrier de la tribu et devait donner à chaque année un nom rappelant l'événement le plus marquant survenu au cours de la période. Il souligne l'épidémie de petite vérole de 1869-1870 et l'arrivée de la Police montée en 1874, mais pour 1877, l'année du traité, il ne consigna que les mots suivants : "Itsiparkap-otomiop - lorsque nous avons eu un mauvais printemps." Note de bas de page 44 Il ne fit aucunement allusion à la signature du traité no. 7.

Le seul qui n'ai pas affiché la désinvolture que montraient tous les autres et qu'il vaille la peine de mentionner fut Pied de Corbeau, l'un des principaux chefs de la tribu pied-noir. Voici ce que le père Scollen en dit : "Il est vrai que Pied de Corbeau, qui est certainement considéré comme le plus grand chef des Plaines semblait avoir une vague notion de ce que signifiait le traité." Note de bas de page 45

Et pourtant, ce qu'il saisissait de l'événement semblait se borner à la possibilité que les Pieds-Noirs dussent un jour compter sur l'homme blanc pour assurer leur subsistance lorsqu'ils ne pourraient plus trouver de bisons.

Au départ, les Indiens qui se réunirent au lieu de négociation du traité furent ceux qui vivaient dans la région - par exemple les Stonys, qui étaient sous l'influence des missionnaires méthodistes.

Après que le commissaire Laird eut exposé les offres du gouvernement, les chefs de la nation pied-noir se réunirent dans la tente de Grand Bouclier pour en discuter. Vieux Soleil, qui dirigeait la tribu pied-noir aux côtés de Pied de Corbeau, s'en remit au jugement du plus jeune chef. L'idée d'un traité provoqua d'abord des réactions de toutes sortes, Côte d'Aigle s'en faisant l'opposant le plus acharné. Cependant, les commerçants de Fort Benton et d'Edmonton se trouvaient sur les lieux et étalaient une attrayante variété de vêtements, d'armes, de colliers et d'utensiles. Bien des Pieds-Noirs se rendirent compte que, s'ils acceptaient de signer le traité, ils pourraient se procurer une foule d'articles. Selon une de nos sources : "Des Blancs campaient par centaines dans le secteur pour vendre leurs marchandises. Les Indiens en avaient très envie; ils voulaient donc signer le traité pour obtenir de l'argent." Note de bas de page 46

Ce qui était loin de simplifier les choses, une rivalité séparait les familles de Pied de Corbeau et de Veau d'Aigle, et lorsque ce dernier apprit que le premier s'opposait au traité, il se déclara publiquement en faveur : Veau d'Aigle croyait en effet que l'arrivée des colons blancs était de toute façon imminente, et que les Indiens devaient obtenir de l'argent en échange des terres que les Blancs utiliseraient. Cependant, Pitaonista était seul de son opinion. Tous les autres chefs pieds-noirs se montraient indécis et attendaient la décision de Pied de Corbeau.

Pendant que les Pieds-Noirs attendaient l'arrivée des chefs manquants, il y eut un revirement graduel d'opinion en faveur du traité, probablement à cause des présents offerts et de la confiance que le colonel Macleod inspirait en général aux Indiens. Il était cependant clair que Pied de Corbeau n'avait encore rien décidé lorsque le conseil se réunit de nouveau le jeudi. Tous étaient d'accord pour laisser à Pied de Corbeau le soin de poursuivre les négociations, mais Veau de Médecine, chef des Bloods, respecté de sa tribu, décida d'agir seul.

Lorsque les chefs des Bloods et Piégans arrivèrent enfin, ils s'entretinrent longuement avec Pied de Corbeau et ses chefs. Le principal porte-parole des Bloods était Corbeau Rouge qui, de toute évidence, n'avait aucune idée de ce qui pouvait découler du traité à long terme. Comme les autre chefs, il était disposé à laisser Pied de Corbeau mener les dernières négociations.

On raconte encore aujourd'hui chez les Pieds-Noirs que Pied de Corbeau était si préoccupé par le traité qu'il se rendit voir un vieux sage, Pemmican, pour qu'il le guide dans la bonne voie. Ses deux premières visites chez Pemmican furent vaines. À sa troisième visite, Pemmican parla enfin :

J'aimerais te l'interdire parce que je suis au bout du chemin. Ma vie est à son terme. Je te l'interdis parce que ta vie, désormais, sera différente de ce qu'elle a été. Le bison fortifie le corps. La nourriture que cet argent te procurera anéantira ton peuple qui finira enseveli partout dans ces collines. Tu seras enchaîné, tu ne pourras plus parcourir les plaines. Les Blancs prendront tes terres et les occuperont. Tu ne pourras plus agir librement; les Blancs te mèneront par le bout du nez. Voilà pourquoi je te dis de ne pas signer. Mais j'ai fait mon temps, alors signe si tu veux. Va et signe le traité. Note de bas de page 47

Pied de Corbeau décida finalement d'accepter les conditions du traité puisque les Bloods, les Piégans et les Sarcis, ainsi que les membres de sa propre tribu, étaient tous d'accord. Deux ans plus tard, le père Scollen, qui avait participé à toutes les étapes de la conclusion du traité, s'interrogea sur ce qui avait poussé les Indiens à signer le traité :

Les Indiens saisissaient-ils la vraie nature du traité qu'ils ont signé avec le gouvernement en 1877? La saisissent-ils maintenant? Je dirais sans hésitation que non et je peux expliquer pourquoi. On peut se poser la question suivante : si les Indiens ne comprenaient pas ce que le traité signifiait, pourquoi alors l'ont-ils signé? Parce que, avant la négociation du traité, ils avaient toujours été bien traités par les autorités et qu'ils souhaitaient ne pas leur déplaire. Et bien qu'ils se soient posé de nombreuses questions sur ce que signifiait le traité, ce qu'ils avaient vécu avant leur faisait espérer qu'il leur permettrait d'obtenir de la nourriture et des vêtements en abondance, mais surtout de la nourriture, chaque fois qu'ils en auraient besoin. En outre, ils ont subi l'influence de bien des facteurs extérieurs. Cependant, je le répète, rien ne les disposait à comprendre intuitivement le geste qu'ils furent appelés à poser. Note de bas de page 48

Outre le fait qu'ils concevaient différemment la raison d'être des traités, les Pieds-Noirs eurent du mal à comprendre les interprètes. Le père Scollen se plaignit de l'absence d'interprètes compétents. Campbell Munroe évoqua en ces termes la difficulté que pose la traduction des conditions :

Je me tenais juste à côté de mon père, John Munroe, lorsqu'il transmit aux Pieds-Noirs les désirs du gouvernement. Il y avait beaucoup de mots et de concepts que les Indiens ne pouvaient pas comprendre. La langue pied-noir est très succincte et ne comporte, pour de nombreux éléments, aucun terme ou sens correspondant. Note de bas de page 49

Les discours prononcés par les chefs laissent supposer qu'ils signèrent le traité parce qu'ils faisaient confiance au colonel Macleod, et non parce qu'ils en comprenaient les conditions. Pied de Corbeau et Corbeau Rouge firent tous deux surtout allusion au bon travail accompli par la Police montée, alors que Vieux Soleil sembla s'intéresser davantage aux présents. Il pourrait y avoir deux raisons pour lesquelles les Indiens n'essayèrent pas de négocier sérieusement - mise à part la tentative isolée de Veau de Médecine : ils ne comprirent pas les conditions du traité, et ne purent s'imaginer qu'il s'agissait d'une entente à long terme touchant la cession de leurs terres.

Après la signature du document (méfiant, Pied de Corbeau s'abstint de toucher la plume avant que sa marque ne soit apposée), la question des réserves fut soulevée. Là encore, Pied de Corbeau fut, semble-t-il, le seul chef à avoir quelque idée de l'importance de la question. Les Stonys suivirent le conseil de leur pasteur et choisirent de s'installer dans le voisinage de la mission méthodiste, même si cet endroit était au coeur d'un territoire exclusivement occupé par la bande des Chinikis. Ni la bande des Goodstonys qui chassait au nord près des plaines de Kootenay, ni la bande des Bear's Paw qui chassait au sud dans la direction de Chief Mountain ne s'y opposèrent, probablement parce qu'elles ne voyaient pas à quoi pouvait servir une réserve.

Les Piégans choisirent de s'établir là où ils passaient normalement l'hiver, mais les Bloods et les Sarcis n'avaient aucune préférence particulière. Ils ne soulevèrent donc aucune objection lorsque Pied de Corbeau suggéra d'établir une réserve commune le long de la rivière Bow sur des terres arides où ils chassaient le bison et qui s'étendaient aussi à l'est qu'au confluent de la rivière Bow et de la Red Deer. Une fois que ces questions furent réglées et que le frère adoptif de Pied de Corbeau, Trois Boeufs, eut adhéré à l'entente, le traité fut conclu.

Événements ultérieurs et interprétation

Les Indiens accueillirent d'abord avec joie la signature du traité. Voici ce qu'un habitant de Fort Macleod disait d'eux, un mois plus tard : "Depuis la signature du traité, les Indiens semblent plus heureux et, si possible, plus amicaux que jamais. Aucun homme en uniforme ne peut les croiser, dans le village ou dans la prairie, sans qu'ils ne viennent gentiment lui serrer la main Note de bas de page 50

Puis, les doutes se mirent à surgir : les Pieds-Noirs ne croyaient pas au hasard; ils pensaient que les esprits du bien et du mal présidaient à la destinée de l'homme. S'il se produisait une catastrophe, il devait forcément y avoir une cause. C'est ainsi que lorsque trois des signataires du traité - la Pluie, la Belette et Fouetté Sans Merci - moururent dans l'année qui suivit la conclusion du traité, une vague d'épouvante déferla sur les campements pieds-noirs. "Très superstitieux de nature", de dire le père Scollen, "ils imputent souvent aux Blancs les malheurs qui leur arrivent peu de temps après avoir traité avec eux; c'est pourquoi la mort de trois de leurs chefs pendant cette première année les alarma beaucoup et fut perçue comme étant de très mauvais augure." Note de bas de page 51

D'autres malheurs s'abattirent vite sur eux. D'abord, le nombre de bisons diminua rapidement, malgré que le commissaire Laird les aient assurés que les troupeaux dureraient encore dix ans. Puis, en 1877-1878, un hiver froid, presque sans neige, et des feux de prairies qui repoussèrent ce qui restaient de bisons très loin dans le Montana aggravèrent leur misère. Au printemps, la famine hantait déjà les campements des bandes qui n'avaient pas pris la direction du sud. "Dans l'esprit des Indiens, tout cela était, bien sûr, la terrible conséquence du traité" d'affirmer le père Scollen. Note de bas de page 52

Ces déboires firent naître en eux, non pas de l'hostilité, mais le désespoir et la crainte de l'avenir. Au lieu de faire grief à l'homme blanc de la conclusion du traité ou de la disparition du bison, les tribus s'en imputèrent la faute et se crurent châtiées pour avoir signé le traité et ouvert le pays aux Blancs.

En 1880, lorsque les Indiens comprirent enfin l'importance des réserves, les Bloods et les Sarcis refusèrent les terres qui leur avaient été réservées au moment de la conclusion du traité. Malgré tous les efforts qu'on fit pour les convaincre de rester près de Blackfoot Crossing, les Sarcis insistèrent pour s'installer dans la région de Fort Calgary et, en 1880, ils obtinrent finalement la permission d'y demeurer. Les Bloods refusèrent aussi de s'installer à Blackfoot Crossing et, la même année, ils furent autorisés à s'établir le long de la rivière Belly.

Puis, en 1883, pendant la construction du chemin de fer Canadien Pacifique dans les prairies, on ne sut plus très bien où se trouvait l'emplacement exact de la réserve prévue à l'origine pour les Pieds-Noirs et l'on craignit que le chemin de fer n'empiète sur les terres qui leur étaient destinées. On conclut donc, le 20 juin 1883, un autre traité avec les Pieds-Noirs, en vertu duquel la tribu cédait l'étroite bande de terre qui lui appartenait et prenait possession d'une nouvelle réserve bordant l'emprise du chemin de fer. Une semaine plus tard, le 27 juin 1883, on conclut avec les Sarcis un nouveau traité par lequel ces derniers échangeaient officiellement leurs terres longeant la rivière Bow contre trois cantons situés à l'ouest de Calgary. Et, le 2 juillet 1883, on signa avec les Bloods un autre traité qui leur attribuait officiellement les terres comprises entre la rivière Belly et la rivière Ste-Marie en échange du territoire qui leur avait été destiné à la signature du traité de 1877. Les nouveaux traités ne visaient que l'échange de terres et ne modifiaient aucunement les autres modalités approuvées en 1877.

L'arpentage de la nouvelle réserve des Bloods souleva d'autres problèmes. Pendant l'été 1882, on réserva en tout pour la tribu quelque 650 milles carrés de terres, superficie de beaucoup inférieure à celle qui aurait dû être attribuée selon l'allocation d'un mille carré pour cinq personnes, si l'on prête foi aux données du recensement sur lequel on s'est fondé (3 542 personnes). Cependant, en 1883, on abaissa à 2 589 personnes le total de la population, le gouvernement alléguant que des Piégans du sud venant du Montana avaient été inclus indûment et que le nombre d'enfants avait été falsifié, ce qui avait eu pour effet de gonfler les résultats. La réserve fut donc arpentée de nouveau cette année-là et sa superficie réduite à 547,5 milles carrés. Cette mesure provoqua une vive controverse, surtout lorsque les Mormons de l'Utah s'établirent sur les terres qui faisaient l'objet du litige en 1887.

Les membres de la réserve des Stonys soutinrent pour leur part qu'une superficie insuffisante avait été attribuée aux trois tribus. Bien des Goodstonys et des Bear's Paw refusèrent d'être confinés dans la réserve et insistèrent pour s'etablir sur leur territoire de chasse habituel. Enfin, en 1946, on fit l'acquisition d'un ranch de cinq mille acres sur les bords de la rivière Highwood, que l'on réserva à quelques membres de la bande des Bear's Paw; cette réserve s'appelle Eden Valley. Un an plus tard, on mit de côté encore cinq mille acres de terres dans les plaines de Kootenay à l'intention des Goodstonys, et on baptisa la réserve Bighorn.

Ce furent les principales préoccupations des tribus signataires du traité no. 7, en ce qui concerne les terres. Cependant, juste après le début du siècle, on assista à un certain nombre de cessions, d'achats de terre et de baux à long terme, qui, dans certains cas, donnèrent plus tard lieu à des requêtes en justice. La principale source de frustration, dans ce qui était perçu comme un manquement aux obligations stipulées dans le traité, concernait les terres de la réserve des Bloods, qui firent l'objet du premier bail emphytéotique. Voici par exemple ce que nous a confié l'une de nos sources :

Je ne sais comment, mais les Mormons ont obtenu du chef qu'il signe des papiers pour la location de terres à leur groupe. Or, le chef ne savait pas pour combien d'années. Nous avons entendu dire que les Mormons avaient inscrit 99 ans. Depuis, ils se sont tous enrichis grâce à nos terres et aujourd'hui, nous n'avons rien en échange. C'est ce que m'ont dit mes aînés. Note de bas de page 53

Les allégations de non-respect d'autres dispositions du traité qui on été faites au fil des ans visent surtout les clauses prévoyant la fourniture de nourriture en quantité illimitée et le bon traitement promis aux Indiens. Par exemple, aux environs de 1918, Une Tache, l'un des signataires du traité de 1877, disait : "j'étais au grand conseil tenu à Blackfoot Crossing et les représentants de la Reine nous ont dit que nos sièges seraient toujours faits des plumes les plus douces." Note de bas de page 54 Le chef Canard exprima le même point de vue lorsqu'il rapporta les propos de Pied de Corbeau. Selon lui, Pied de Corbeau affirma que le gouvernement devait le parer des atours les plus beaux et les plus doux parce qu'il avait accepté de signer le traité. Note de bas de page 55

En général, ce qui, d'après les tribus, leur avait été promis en 1877 était très confus. Même les chefs présents aux négociations semblaient n'avoir qu'une idée imprécise des promesses faites. Si l'on songe aux problèmes que causèrent les interprètes et les perceptions culturelles divergentes, cette confusion est fort compréhensible.

Le clause du traité portant sur les munitions fut, pour les Indiens mécontents, un autre sujet de discussion. Les cinq tribus prétendirent que les 2 000 $ par année qui leur avait été promis ne leur avaient pas été versés depuis le 19e siècle et, de plus, qu'aucune autorisation officielle n'avait été accordée pour que cette somme soit dépensée à d'autres fins. En 1973, le gouvernement du Canada reconnut la légitimité de cette revendication et versa 250 000 $ en arriérés et intérêts, ce qui provoqua une nouvelle controverse à l'intérieur du traité no. 7 : devait-on répartir ces fonds également entre les cinq tribus ou en fonction du nombre de membres qu'elles englobaient?

Les Indiens ont encore aujourd'hui bien des idées fausses sur le traité; certaines dispositions qu'ils attribuent au traité appartiennent en fait à la Loi sur les Indiens. Les Indiens qui n'ont pas eu l'occasion de lire le texte du traité sont convaincus que ce dernier renferme plus de promesses qu'il n'en contient réellement.

Quelques Indiens soutenaient, par exemple, avec force dans les années 1970, qu'une clause du traité no. 7 les préservait de la pendaison, quel que soit le crime commis. Note de bas de page 56 Par ailleurs, des anciens mieux informés ont prétendu, peut-être avec raison, que des promesses faites verbalement n'avaient jamais été consignées dans le document officiel. Cette conviction se fonde peut-être en partie sur l'incompréhension qui régnait entre les deux cultures. Il se peut par exemple que certaines des demandes faites par les chefs n'aient pas été rejetées par les commissaires et qu'elles aient, par conséquent, dans l'esprit des Indiens, été approuvées. Encore d'autres problèmes proviennent du fait que les Indiens d'aujourd'hui appliquent leurs conceptions de la fin du XXe siècle à des événements datant du XIXe siècle, prêtant aux chefs signataires du traité une connaissance innée des droits en matière d'exploitation minière, de la location des terres et de la valeur de la propriété foncière.

Bibliographie

Documents

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Journaux

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